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Quand, pour la sixićme fois, je m’embarquai pour 1’Algerie, le livre que j’espćrais en rapporter ćtait tout autre que celui que j’ofTre aujourd’hui. Les plus graves questions economiques, ethnologiques, geographiques, devaient y etre soulevćes. II est certain qu’elles me passionnćrent. J’emportai des cahiers que je voulais remplir de documents precis, de statistiques... [...] De retour en Normandie, du moins cherchai-je a les remanier en vue d’un tout plus homogćne. Mais, lorsque je les relus, je compris que leur elan faisait peut-etre leur seul mćrite, et qu’un appret si leger fut-il, y nuirait. - Je les publie donc sans presque y changer un seul mot.
Gide accomplit son travail d’esthete, parcourant ses chers endroits, se rappelant les doux moments de ses anciens passages, rćflćchissant sur l’oubli et sur la mort, retrouvant ses anciens amis arabes. Les portraits des Arabes sont sensuels, pleins de complaisance pour ceux qui sont.dćmunis, dćfavorises, mais jamais dćnigrćs. Voil&
un enfant etrangement beau [qui] joue de la comemuse : on se rassemble autour de lui; les autres sont ses galants. L’un joue de ce bizarre tambour en formę de vase, dont le fond est en peau d’ane. Lui, le joueur de comemuse, fait la fortunę du cafć, semble sourire & tous et ne favoriser aucun.216
EfTectivement, cet indigćne est un acteur, dont Pierre Masson a parle, admirć par les spectateurs qui 1’apprćcient selon leurs criteres esthetiques; d’ailleurs ici il s’agit d’un vrai spectacle de «“Caracous” a Tunis, un theatre “d'ombres chinoises,” souvent obscene, qui veut bien egayer les nuits du Ramadan.»217 Ces portraits des indigćnes sont accompagnes sou-vent de commentaires portant sur les Arabes au sens non plus individuel, mais generał. Cependant il serait vain d’y chercher des echos de stereo-types comme chez Montherlant, les constatations de Gide relevent de ses propres rćflexions et experiences. Ainsi, l’ecrivain prend-il la responsabi-lite du mot, en plus, ce mot paralt etre adresse au lecteur exigeant, fatiguć des sterćotypes vehićulćs par toutes sortes d’ouvrages. Apres la descrip-tion d’un enfant jouant de la comemuse vient une observation sur le Ra-madan et sur les Arabes «qui sont k 1’ordinaire et presque tous tres scru-puleusement pratiquants.» Dans ses Feuilles de route, Gide decrit la rencontre avec son cher Athman qui a maintenant dix-sept ans et a cet age
1,5 Ibid., p. 87-88. l“ Ibid., p. 35.
1,7 C. Martin, La Maturiti d'Andre Gide, ćd. Klincksieck, Paris, 1977, p. 117. łl* A. Gide, Amyntas, op. cit., p. 36.