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La condition de 1’authenticite d’une telle relation est le dialogue et Ahmed parle franęais avec Bernard lorsqu'il indique le nom de son agresseur:
- Ahmed? Qui t’a fait ęa? La bouche d’Ahmed trembla, se tut, puis trembla de nouveau et murmura : - Ben Kacem... - Dispute? - Fatimę... - Fatimę? Est-ce que ce n’est pas la jolie petite d’en bas? - Oui. [...] Alors ne bouge pas. Je savais bien que tu parlais franęais.244
L’opinion de Germaine Beaumont sur 1’ecriture de Colette s’impose ici: «La foi et 1’esperance ne sont pas nommees dans ses livres, mais la plus difficile des trois vertus, et la moins pratiquee, y abonde : la charitć.»245
Colette ne lesine pas sur les noms propres marocains, les noms des objets arabes ou les mots francises ou franęais pour donner un climat particulier a sa nouvelle : a cóte d’Ahmed, Ben Kacem, Fatimę, Aziz, Dan-kali, Ben Salem, Farrhar, le lecteur retrouve obligatoirement (a la premiere page) le mot «sauterelle», «les cueilleurs d'oranges», «le scorpion», «le soleil» et le mot «desert» (a la troisieme page). Comme Gide, Colette ne connait pas «les subtilites» historiques, utilisant le mot «pacha» dans le contexte du Maghreb sous la domination franęaise, oubliant qu'il s'agit d'un gouvemeur d'une province de 1'ancien empire ottoman, elle se met plutót du cótć de 1'Orient fabuleux que de la probite historique.
Restant i la pćripherie des recits exotiques, Colette apporte dans sa nouvelle une fralcheur du regard sur le probleme colonial et surtout sur la relation «ma!tre-serviteun>. Elle dit ouvertement que le dćpassement de soi-meme inscrit dans la charite peut aboutir a des rćsultats surprenants ce qui peut etre qualifie plutót comme un souhait profond de la part de
1'auteur qu'une reelle sortie de 1'impasse coloniale.
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Nous nous occuperons, suivant toujours la proposition methodologi-que de Daniel Pageaux, du deuxieme niveau d'etude imagologique qui correspond a 1'analyse du «[...] cadre spatio-temporel (1'espace etranger et le temps dans lesquels est “vu” 1'Autre tandis que le Je ecrit); [...] du systeme des personnages, enfin du texte qui sera lu comme un “document” anthropologique.»246 Nous voudrons montrer comment tous ces trois
244 Ibid., pp. 222-223.
245 G. Beaumont, A. Parinaud, Colette, ćd. du Seuil, 1973, p. 46.
244 D.-H. Pageaux, La litterature generale et comparee, op. cit., p. 67.