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A cótć de toutes ces dates precises si bien ancrees dans l'univers maghrebin, difTćrents moments de la joumee sont aussi valorises; c'est ainsi que la nuit contient les mysteres de rislam :
On dirait que 1’lslam pietine durant le jour, reprend possession de la ville, ne pouvant plus s'exprimer que la nuit [...]. Et pourtant c'est une haleine pure que celle de cette flute noctume apres le vacarme du jour. II semble qu'avec elle quelque chose de spirituel renaisse enfin sur le monde, nous lave de ces dix-huit heures de vulgarite et de barbarie.276
La nuit decouvre donc ce qui est cache le jour : la spiritualite de 1'Islam, son essence mystique. Dans le dialogue entre Auligny et Guiscart, le temps de 1'Islam correspond aux temps et a 1'espace arabes imper-meables aux regards jaloux de 1'Europeen car pour les habitants autoch-tones c'est le seul moyen de preserver leur dignite bouleversee :
Dans le ksar on voyait encore une lumiere. Guiscart dit qu'elle lui rappelait ces petites creches de lumiere que faisaient, la nuit, a Alger, dans les mai-sons en construction, les feux autour desquels les maęons arabes etaient accroupis. - Quand les phonographes erailles se sont tus, quand les derniers roulements des autos et des trams se sont eteints apres la fermeture des cinemas, quelquefois, dans le silence absolu de la nuit, on entend la modu-lation d'une flute jouee par un de ces maęons reveurs. [...] Souvent la vibration de la flute, venue de ces hauteurs, s^tend et piane sur la ville endormie, comme si elle la recouvrait toute.277
Nous nous trouvons ici devant l'un des problemes majeurs du dis-cours portant sur 1'Autre dans la littćrature coloniale, a savoir 1'impossibi-lite de communiquer avec celui qui reste soumis a l'envahisseur. L'une des frontieres impossible a franchir reste le seuil de la maison indigene; demier bastion de 1'identite autochtone. Dans la citation ci-dessus, la maison en construction du maęon arabe est 1'abri du feu et de la lumiere; les symboles de la vie et du foyer familial. Le reflet qui peut etre peręu par celui qui reste a l'exterieur, ne correspond donc qu'a une demi-verite, a une triste tracę de la vraie vie, d'autant plus intćressante parce que cachee au non-Arabe. Disons apres Alain Buisine que
1'Occident dćsire 1'Orient voile et pour de multiples raisons qui ne sont pas toutes indćfendables, k sa faęon il exprime une veritć imaginaire valable de son Orient, le sień, juste le sień, qui est aussi une des multiples faęons d'etre,
276 Ibid., p. 235.
277 Ibid., pp. 234-235.