artificiel de donnees meteorologiques, apres quoi je determinerais si une formule lineaire pouvait produire les donnees. Si les sequences artifi-cielles etaient periodiques, repetant les valeurs precedentes a intervalles reguliers, cela prou-verait que la regression lineaire etait en mesure de produire des previsions parfaites. Pour cet essai, j'avais donc besoin d'un modele dont les resultats varieraient de maniere irreguliere d'une fois a 1'autre, exactement comme 1'atmosphere semble se comporter. J ai entrepris de tester les modeles lun apres 1'autre et j'ai finalement abouti a un modele consistant en douze equations dont les douze variables representaient des caracte-ristiques meteorologiques flagrantes comme la vitesse des vents d’ouest a 1'echelle mondiale. Apres lui avoir fourni douze valeurs representant la situation meteorologique a 1'heure zero, l'ordi-nateur faisait progresser le temps par etapes de six heures, chaque etape necessitant dix secon-des de calcul. Toutes les quatre tranches (soit apres chaque journee simulee) il donnait les nou-velles valeurs des douze variables, ce qui recla-mait encore dix secondes de calcul. Apres quel-ques heures, il avait calcule un grand nombre de valeurs et j'examinais 1’une des douze colonnes pour me rendre compte de la faęon dont les chiffres variaient. II n'y avait pas tracę de perio-dicite. De temps a autre, j'imprimais davantage de resultats, avec parfois de nouvelles conditions initiales. II devenait evident que le comportement generał etait aperiodique. Quand j'ai applique la methode de regression lineaire aux conditions meteorologiques simulees, j ai decouvert que cela ne donnait que de maigres resultats.
H. T. — Dans quelles circonstances et a quel moment, le terme chaos a-t-il ete utilise pour exprimer ce phenomene ?
E.N.L — Un moment donnę, j ai voulu examiner un resultat de maniere plus detaillee. J'ai alors ar-rete 1'ordinateur et introduit douze valeurs tirees d'une ligne qu'il avait imprimee auparavant. Apres l'avoir remis en marche, je suis alle boire un cafe. A mon retour, environ une heure plus tard, il avait produit a peu pres la valeur de deux mois de donnees et j ai decouvert que le nouveau resultat ne correspondaiten rien au premier. Au debut, jai soupęonne une defaillance de 1‘appareil, mais lorsque jai compare le nouveau resultat, point par point, avec 1'ancien, je me suis rendu compte qu‘ils etaient identiques au debut et qu'ils diffe-raient ensuite dune unitę a la derniere decimale, les differences devenant toujours plus impor-tantes, doublant en quatre jours environ, jusqu'au point de rendre les resultats totalement mecon-naissables au bout de 60 jours.
Uordinateur effectuait ses calculs jusqu'a la sixieme decimale environ, mais voulant reunir douze chiffres sur une meme ligne a 1'impression, je l'avais programme pour les arrondir a la troi-sieme decimale. Les valeurs que j'introduisais n etaient pas, de ce fait, les valeurs originales mais des approximations arrondies. De toute evi-dence, le modele etait ainsi fait que les petites differences pouvant exister entre les resultats al-laient s amplifiant jusqu'a devenir aussi grandes que celles entre des resultats tires au sort.
Tout ceci etait exaltant; si 1'atmosphere se comportait dans la realite de la meme maniere que le modele, il serait impossible de faire des previsions a longue echeance, dans la mesure ou la majorite des elements dans la realite ne sont pas mesures avec precision a trois decimales pres. Au cours des mois qui suivirent, 1'idee qu‘il existait une relation entre l'absence de periodicite et la croissance des petites differences s‘imposa a moi et je fus, en definitive, a meme de prouver que, dans des conditions assez generales, un type de comportement suppose 1'autre. Des phenomenes qui se comportent de telle maniere sont aujourd'hui designes collectivement sous le vocable de chaos. Cette decouverte fut l'evene-ment le plus exaltant de ma carriere.
H. T. — Pourriez-vous donner un exemple meteorologique de ce phenomene ?
E.N.L. — Imaginons une experience hypothetique sur le developpement de nuages convectifs - le type de nuages dans lesquels Fair est en per-petuel mouvement. II est difficile de reproduire les nuages en laboratoire et l'experience doit avoir lieu a un emplacement approprie ou Ton at-tend des conditions meteorologiques favorables. Supposons que, dans les alentours de 1'endroit choisi, les conditions meteorologiques semblent identiques, tót dans la matinee de deux journees differentes. Vers midi, il y a de petits nuages ano-dins le premier jour, tandis que le second jour, au meme moment, ce sont des nuages bourgeon-nants ainsi que des averses. Cette difference peut etre due au caractere eminemment chao-tique de la convection atmospherique, de sorte que de petites differences, indecelables au lever du Soleil, peuvent s'amplifier et leurs effets se multiplier. Et meme si Ton avait pu simuler ces nuages en laboratoire, il se pourrait que, partant de petites differences indecelables, on obtienne
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