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Lucker (41) le demandait le 5 juillet 1957 lors du dśbat de ratification au Bundestag et qu’il qualifiait de « tache principale pour les prochaines annśes en ce qui concerne 1’orientation de la politique agricole *>.
Si la politique agricole, avec ses prolongements financiers et budgśtaires, n’avait pas entretenu un foyer de crise permanent, on aurait pu mobiliser l’en-portantes śnergies politiques pour assurer la rśalisa-tion constructive de projets communautaires, ce qui eut profitś au dśveloppement intśrieur de la Communautś, de loin plus important encore que ces diffśrents aspects. Surtout, cela aurait pu se faire k un moment ou l’environnement śconomique dans son ensemble et les conditions politiques śtaient encore plus propices que par exemple au dśbut des annśes 70, c’est-ś-dire aprśs le premier choc pśtrolier ou encore aprśs les remous de 1’ślargissement. Autant de chances qui, mal-heureusement, n’ont pas śtś mises k profit.
II se peut, et c’est Iś le noyau de notre hypothśse, que la Communautś eut accśdś k un niveau de qualitś nouvelle dans un dślai relativement court si elle avait pu suivre ainsi la voie d’une progression sans obstacle. Par-delś la rśalisation d’un marchś intśrieur unifiś, elle aurait sans doute pu faire un saut qualitatif en direction de cette union śconomique et monetaire que le plan Werner fixait deja comme objectif k Thorizon de 1980. Ainsi, son destin aura śtś de porter comme une chape de plomb le poids des decisions erronśes prises en matiere de politique agricole. La Communautś a du par moments et sans relache mobiliser beaucoup d’śner-gie politique, sinon toute son śnergie, pour sauvegar-der l’acquis de la politique agricole commune en se livrant k de pśnibles operations de rafistolage, souvent en pure perte du reste, qui ne visaient guśre a un vśritable assainissement.
De ce fait, les dśfenseurs de la Communautś se sont rśguliśrement empetrśs dans d,inextricables difficultśs d’argumentation, tant la dimension politique śtait śtroi-tement melśe aux aspects techniques. Car il s’agissait, bien sur, de respecter le « contrat de mariage >* qui — pour le ramener k une formule prosaique — stipulait que les intśrets de Tagriculture franęaise devaient etre contrebalancśs par les avantages de 1’industrie alle-mande. Ainsi, une politique agricole commune śtait certes politiquement indispensable, mais pas sous cette formę. Les partisans de la Communautś ont souvent śtś amenśs, vu la prśśminence de la politique agricole commune, k dśfendre celle-ci, bien qu’elle soit trśs peu satisfaisante, en invoquant, souvent k contre-coeur, des intśrets « supśrieurs **, et k contri-buer ainsi k son maintien. Pour avoir constamment recouru k de telles « bśquilles », la Communautś devait nścessairement perdre une bonne part de sa crśdibi-litś. Et comme en 25 ans cette situation fondamentale n’a pas changś la Communautś a du la comptabiliser sur le plan politique comme une lourde hypothśque, voire un mai incurable.
Sur le plan budgśtaire, 1’idśe aurait du s’imposer notamment d’utiliser davantage et plus opportunśment la marge dont on disposait pour rśduire, comme le prescrit le traitś CEE, les ścarts de dśveloppement
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(41) Hans-August Lucker, Die Landwirtschaft im Vertrag zur Grundung der Europaischen Wirtschaftcjemeinschaft (rapporl), 2 Deutscher Bundestag, 224* sśance, du 5 juillet 1957, p. 13422.
entre diverses rśgions de la Communautś et attśnuer le retard des zones moins favorisśes. II s’agit Ik d’une exigence k la fois socio-śconomique et politique. On ne saurait rśaliser ne fut-ce qu’un marchś commun et k plus forte raison une union śconomique durable sans procśder k de tels amśnagements. Sinon, il s’ensuivrait des concentrations excessives dans le centre ścono-mique de la Communautś avec un dśpeuplement et un appauvrissement parallśles des rśgions pśriphśriques. Mais meme la cohśsion politique est en dśfinitive impossible — en tout cas dans certains domaines — sans de telles opśrations d'alignement dont 1’objectif reste malgrś tout fort śloignś de 1'homogśnśitś des conditions de vie inscrite dans la loi fondamentale allemande. Aussi la politique agricole, telle que l’a souhaitśe notamment 1’Allemagne et dont celle-ci doit rśpondre, a-t-elle largement śpuisś les capacitśs bud-gśtaires sans que prścisśment la Rśpublique fśdśrale ait acceptś de bonne grace d'assumer de plus lourdes charges financiśres. II va sans dire que cette situation a pesś lourdement sur la Communautś k Six comme par la suitę.
£videmment, les crśdits budgśtaires que la politique agricole n’aurait pas absorbśs auraient pu et du etre utilisśs au profit d’autres politiques de la Communautś, telles que la politique de la recherche et du dśvelop-pement, la politique des transports ou la politique culturelle. Toutes ces dśpenses eussent śtś objecti-vement possibles, et en tout cas plus judicieuses, tout comme elles auraient, sur le plan politique, sensible-ment renforcś, k 1’intśrieur comme k rextśrieur, la compśtence et le prestige de la Communautś.
Le role moteur de la politique agricole commune que l'on vantait k juste titre pour des raisons politiques, du moins au dśbut, s’est estompś et a meme disparu ; c’est pourquoi, aujourd’hui, la politique agricole de la Communautś ne saurait plus etre qualifiśe que de «lourde hypothśque»» (Hermann Priebe). Certes, ce n’est pas toujours le discernement qui, en vingt ans, a manquś aux hommes politiques, mais plutót la force et le souffle nścessaires pour forcer rśellement le destin. Redisons-le : les ressources financiśres de la Communautś auraient pu etre utilisśes plus efficacement au profit de Tagriculture europśenne et lui offrir ainsi de bonnes perspectives de dśveloppement k long terme.
Les premiers changements de cap perceptibles amorcśs depuis 1985 et qui, il est vrai, procśdent d’une tendance śvidente k la renationalisation au moyen de subventions nationales ne peuvent malgrś tout qu'ins-pirer une grandę part de scepticisme. Les nombreuses tentatives de rśforme entreprises en vain ont fait apparaitre 1’śtroitesse des limites que les (prśtendues) contraintes matśrielles imposent aux hommes politi-ques. On n’a pas encore trouvś, dans les annśes 80 pas plus que dans les annśes 70, un homme politique k la mesure de cette «tache herculśenne », comme l’ścrivait dśjś Walter Hallstein (42) dans les annśes 70. Dans ces conditions, la Communautś parviendra-t-elle k « maitriser 1’histoire» (43) ou en restera-t-elle le jouet ?
(42) Walter Hallstein, op. clt.. p. 217.
(43) Henrł Froment-Meurice, Europa ais eine Macht, Cologno 1986,
p. 22.
REVUE DU
MARCHĆ COMMUN, n® 305, Mars 1987
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