128 Pierre-Franęois Gonidec
la rćalitć. Or, il faut se convaincre que « la thćorie dćpend de la pratiąue, que la thćorie se fonde sur la pratique et, i son tour, sert la pratique ».
C’est sous cet ćclairage, qui nous paraft central, que nous voudrions proposer d’ćtudier les conflits de frontićres en tant qu’ils constituent une frac-tion de 1’histoire contemporaine de PAfrique.
Puisque nous nous plaęons du point de vue du juriste et du politologue, nous nous demanderons quelle est la valeur de 1 ’apport du droit, et plus prćci-sćment du droit international, k la comprćhension de ces conflits.
Cette interrogation nous amćnera k souligner la nćcessitć de dćpasser le point de vue strictement juridique et de recourir aux ressources de la science (ou de la sociologie) politique.
Lorsque les intemationalistes ćtudient les conflits en gćnćral, ils utilisent deux distinctions, qui dćbouchent sur des concepts diffćrents. Dans quelle mesure ces distinctions et les concepts qui en dćcoulent sont-ils općratoires pour l’ćtude des conflits de frontićres en Afrique ? Quelle est leur utilitć ?
Conflits juridiąues et conflits politiąues
Suivant une pente naturelle, qui va dans le sens de leurs prćoccupations, les juristes ont isolć une catćgorie particuliere de conflits, les conflits juridiques, qui sont relatifs k 1’interprćtation ou k 1’application du droit. Par opposition, tous les autres conflits seraient des conflits non juridiques, politiques.
A premićre vue, cette distinction pourrait trouver une application facile dans le domaine des conflits de frontićres, ćtant donnć que ces frontićres ont ćtć fixćes par des accords internationaux ou par la coutume. Sans parler des accords particuliers, il y a au moins un principe gćnćral formulć par la charte d’Addis-Abeba, le principe de 1’intćgritć territoriale des Ćtats surgis du raz-de-marće de la dćcolonisation (prćambule et article 2).
Si elle est commode, cette approche purement juridique ne permet pas en rćalitć de situer les conflits de frontićres. Qu’il s’agisse des conflits nćs du retrait de 1’Espagne du Sahara Occidental ou de ceux qui ont surgi dans la corne orientale de l’Afrique, il est visible qu’au-del& des prćtentions juridiques, sur la validitć desquelles on pourrait s’interroger, se pose un problćme plus profond : dans quelle mesure un peuple (pour ne pas parler de nation) peut-il, dans l’Afrique d’aujourd’hui, dćcider lui-meme de son propre destin? Juridi-quement, le problćme est insoluble. Meme si l’on admet que le droit des peuples k disposer d’eux-memes peut etre considćrć non seulement comme un droit morał, mais comme un droit au sens juridique du terme, il faut constater