“impardonnables”). Que devient alors de concept et la pratiąue de l’Etat-nation ąuand celui-ci peut etre tenu pour responsable, compta-ble, coupable, devant de telles lois? Comme il s’agit la de jugements, de verites et de promesses exigees des etats, des nations, des Ćglises, des corporations de la societe civile, etc., toutes ces instances comparais-sent alors devant une loi dont 1’autorite n’est plus seulement politiąue, nationale ou religieuse. Or runiversite me parait etre le nom du der-nier lieu au monde, aujourd’hui, ou cette reflexion puisse etre menee en toute independance, ou cette autonomie absolue puisse au moins — et doive, meme si en fait elle ne le fait pas — se signifier ou s’an-noncer par dela les etats, les nations, les religions et les Eglises, les societes civiles, par dela les frontieres, les langues et les idiomes.
Voila peut-etre l’une des raisons qui m’ont pousse a parler aujourd’hui du pardon — du pardon que simultanement je vous demande. Ce n’est pas la premiere fois que, au moment d’un doctorat honoris causa europeen, la tentation me vient de demander pardon au moment de remercier. Cela signifie-t-il que j’aurai toujours une mauvaise conscience d’etudiant fautif, de candidat ou d’universitaire coupable? Peut-etre. On n’en a jamais fmi avec la conscience, la mauvaise. La seule fois ou j’ai resiste a la tentation, justement parce que certains de mes adversaires auraient voulu me forcer a demander ce pardon, ce fut a Cambridge il y a quelques annees, en 1992, au terme d’une guerre acharnee, la guerre a la fois serieuse et comique que se livrerent entre eux, seulement entre eux, nos collegues anglais, qu’ils fussent ou non philosophes de profession. Dans l’universite et dans les medias, surtout dans les journaux, certains professeurs (anglais ou non) ont alors fait savoir, et sur un ton sans precedent dans leurs propres annales, qu’ils jugeaient 1’attribution d’un tel doctorat provocante et intolerable. Ils n’ont pas eu la majorite a Cambridge (ou un vote democratique me fut favorable apres de longues discussions privees et publiques). Mais ils auraient sans doute souhaite que je demandasse pardon pour avoir reęu un honneur a leurs yeux immerite et qu’en tout cas ils ne desiraient pas me voir conferer. Sans vouloir ici m’engager dans une polemique dont je me suis toujours abstenu, et au sujet de laquelle, sans m’y meler, je me suis explique ailleurs, j’avouerai seulement ceci. Un tel evenement, bien au-dela de ma modeste personne, m’a donnę une conscience plus aigue du fait que les doctorats honoris causa ne sont pas
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