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II y a vingt ans que je hasardai mes premiers pas dans la carrifcre de la critiąue ; ct, depuis cette ćpo-que,Jc vous assure, Monsicur, que je ne me suis pas un instant rcpenti ni degoiite d'avoir embrassć cc gcnre. J’en vis d&s lors tous les dangers ; ils ne m’ef-frayerent point ; et je soutins d’un ceil fermc la pers-pectivc peu riante des Iracasscrics, des injustices et des libelles : non par un sentiment d’indi!Terence ou de vanitć, mais par la persuasion que le public ne prend pas des injurcs pour des raisons, ni des calom-nies pour des fails ; par le temoignngc que j’ćtais sur que mon emur me rendrait toujours ; enfln, par la connaissance du caractórc des ennemis que je me ferais infaillihlcment.

De tous les ćtres, qui, sur ce malhcurcux globe, tourmentent leur frćle existcnce, c’est bicn (je le dis a regret) l*esp£ce la plus orgueilleuse et la plus ingrate. Ces gens-l&, Monsicur, ont un amour - propre dont vous n’avez point d’id<*e ; c’est un amour-propre part, qui ne pcut se comparer aux amours-propres ordinaires. Ils se croient et se disent sans faęon les luinićres dc lcur siócle, Thonneur de leur patric, les legislateurs de 1’humanitć, les oracles de l’univcrs, parce qu’ils cxcrccnt le mecanisme, aujourd’hui si cominun. dc traccr quelqucs lignes dc prosc ou dc poesie. lis ignorent que le premier meritc de riiomme en socićtć, quels que soient ses titres, ses talcnts et ses emplois, est de nc les alTicher jamais, ct d’etre simple, modeste et sensible. Je parle en generał, Mon-sieur ; car il est des gens de lettres d’un commerce aimahle et sur, qui savcnt allier 1’amćnitć des moeurs ct les graces de Tespril. J’en pourrais citer ici quel-ques-uns, si je ne craignais que ma reticence sur les autres ne partit unc satire.

Avec cette hautc opinion d’eux-memes, dont la naturę a douć lc plus grand noinbre des ćcrivains, devais-je esperer, Monsicur, qu’ils mc laisseraient impune-

uuimper et Leon

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menł censurer leurs ecrits ? La critiqtic la plus mćna-gće les irrite ; a plus forte raison une critiąue vivc, coniine cellcs que je mc suis. permises quelquefois, . moins par envie de nuire, par hnmeur ou par ressen- ' timent, que par un ainour extrómc jwuir la verite, par une sorte d’enthousiasme en faveur du gout, par une rćvoltc involontaire dc mon esprit contrę la inćdiocrite a pretcntions, h cahales et ó succćs.

Je me suis donc attendu. Monsieur, et je m’attends * encore h 1’animositć, drsons inieux, h la ragę des pro-sateurs ct des rimeurs du siecle. Je conviens ccpen-dant que je n’ai pas eu la sagacite de prevoir le su-blime stoTcisine de quclques gens de lettres que j’ai nourris. que j’ai vetus, u qui j’ai prete dc Pargcnt qu’ils ne me rendront jamais, dont j’ai eorrige des ouvrages qui leur oni donnę de la celebrite, et*. qui par reconnaissance ont ćcrit des horreurs contrę moi (1). Au rcstc, ce proeedó si noble est, dit-on, dans la naturę, et pnrtieuliórcment dans celle des poetes qui reęoivent tout cc qu’on fait pour eux coinmc un hommage que l*on doit ó la transcendance de leur genie.

Mes ennemis, ni ceux que je croyais mes amis (2), n’ont pu mc nuire ; mais je leur rends justice ; ils n’ont rien ćpargne pour y reussir ; ils m*ont servi avec un zćle, une activitć, un feu, qui nc leur laisse aucun reprochc & se faire. Jusqu’ici j’ai dćtournć les traits ćclatants ou elandeslins de leur haine, tantót declarće, tantót couverte ; et ma barąue, ton te fragile qu’clle est, s’est sauvee du naufrage. M. de Voltaire lui-niemc, cet aigle « imperieux > (3), qui, du baut du


(1) Allusion k Pallssot k qul FrCron ouvrit longtemps si labie Apffte un revcr* dc forlunc, dont 11 corrigea la comćdle des Philo-sophts et qui, K*»gne par Yoltalre apr*s VErossaise. outragea son bienfaltcur dans sa Dunciade |1764).

C2) L*abbe dc La Porte, son collaboratcur qul, en 1758, gagu* par let phłlosopbes, es&aya de lul en!ever la proprlet* de l'Ann*€ IttU-rairc.

(3) Kapresslon dc I*a llorpe dans une de ses hćroidcs.


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