Actualitć de 1'archćologie. 125
D’autres expćriences sont realisees en Haute-Bretagne : outre celle conduite, par echantillon, de manićre expć-rimentale, par G. ASTILL et w. davies sur le bassin de 1’Ouest et de la Vilaine, L. langouet et son equipe menent ici une prospection extensive sur toute une region : ces recherches font Fobjet d’un important volume que L. langouet vient de faire paraitre (Prospection... Hte Bretagne 1984 : cf. notamment : 3-8 et 251-259). Ce dernier ouvrage est d’un apport methodologique important, en particulier dans la mesure ou sont tentees ici plusieurs expć-riences. notamment statistiques, susceptibles de « faire parler » les donnees brutes de la prospection, tentatives destinees a aller plus avant dans les epineux problemes des relations entre occupations reelles du sol b Fepoque gallo-romaine et donnćes archeologiques de base : representativite du materiel de surface, tant qualitativement
(presence de tuiles___) que chronologiquement (etude systćmatique de la sigillće___) ; recherches sur la surface
moyenne des exploitations ; sur leurs equidistances ; determination des dates de construction par Farchćomagnć-tisme... Ces experiences, trop rares, ont — entre autres — le mćrite d’exister et de nourrir le dćbat : qu’on nous pardonne donc d’y rechercher peut-etre trop systematiquement les vices caches, et de developper ici un point de vue qui pourrait paraitre hypercritique. Mais k mon sens seul l’examen critique pousse de telles expćriences, en elles-memes donc benćfiques, peut permettre de faire avancer les questions historiques posees, par le jeu du va-et-vient des hypotheses.
Le principal probleme pose ici est sans doute celui de la phase principale de constitution du reseau d’exploita-tions rurales « en dur » de cette region de Haute-Bretagne, qui se situerait ici autour de 200 ap. J.-C., ce qui — on en conviendra — est en contradiction avec les donnees de la plupart des regions de Gaule chevelue en la matiere (constitution du reseau de villae a partir du milieu du Icr siecle ap. J.-C., en regle genćrale): on admettra qu’il faille etre pleinement convaincu par la justesse des arguments et de la demarche methodologique, pour accepter ici une telle « anomalie » (a moins de remettre en cause la totalite des donnees connues ailleurs). D’ailleurs, du fait que 65 % des sites a tegulae (construits en dur) semblent etablis apres 150 ap. J.-C. et 35 % seulement anterieurement, les auteurs concluent (p. 56, 60) que dans cette phase anterieure, 65 % des sites n’etaient pas construits en dur : il me semble alors audacieux d’imaginer une occupation homogene — quantitativement — des campagnes sur toute la duree de la periode gallo-romaine ; les sites anterieurs a 150 av. J.-C. (si cette datę doit etre retenue) peuvent aussi avoir ete beaucoup moins nombreux. Mais examinons la situation chronologique de cette phase de construction intensive : FAnnexe II constate par ailleurs (p. 95) un retard des importations de sigillee dans le milieu rural par rapport au milieu urbain. Or il est necessaire, compte tenu des caractćristiques de la methode, de choisir parmi deux, voire trois dates proposees par Farcheomagnetisme (Annexe V): 1’absence d’elements de datation cćramique (exclusivement sigillće) du Ier siecle est ici Fargument essentiel pour placer la construction de 65 % des sites ćtudies de ce point de vue apres 150 ap. J.-C. (p. 132). Les auteurs constatent quand meme une autre phase, quantitati-vement moins importante, de construction, entre 40 et 80 ap. J.-C. (datę plus « classique »), mais le critere retenu pour situer les sites dans cette derniere fourchette est la prćsence de sigillee du Ier siecle dans une proportion « net-tement superieure & 4 % » du total de sigillee datable. Ne peut-on donc pas admettre qu’on ait construit « en dur » sans pour autant importer massivement de la sigillee (cf. Annexe II) ? II serait ici necessaire d’effectuer une contre-expertise pour verifier sur ces sites Fabsence reelle de tout autre marqueur chronologique du Ier sićcle (ceramique non sigillee, etc).
Un autre probleme est souleve par les conclusions de 1’etude sur la surface moyenne des exploitations (Annexe III) : selon Farrondissement, Ton arrive a 6,5 sites et 10 sites pour 1 000 ha, et au total a une surface agricole utile de 160 ha en moyenne par exp!oitation (surface totale : entre 210 et 300 ha), chiffres considćrćs comme plausibles par les auteurs, car se recoupant avec des calculs faits dans ce sens dans d’autres regions : encore faudrait-il que la validite de ces derniers soit indiscutable ! Car ces chiffres sont tres largement infćrieurs a ceux obtenus lors d’experiences de prospections plus intensives, par exemple a Lion-en-Beauce (34,33 sites pour 1 000 ha et un site pour 29 ha) (FERDIERE et fourteau 1979 ; cf. ferdiere 1982). Notons toutefois que d’ailleurs, dans un cas comme dans 1’autre, la totalite des sites decouverts est prise en compte, alors que d’une part ils n’ont certainement pas tous coexiste, que d’autre part tous ne sont sans doute pas des unitćs de production a individualiser, ce qui fausse la base du calcul... II apparait ici que Ton doit utiliser avec la plus grandę circonspection les donnees de prospections (surtout quand elles sont plutót extensives comme ici en Haute-Bretagne, mais pas seulement...), pour avancer des hypotheses dans le domaine de la densite de Toccupation du sol. Plus la partie emergee de 1’iceberg est importante, plus Ton se rapproche sans doute de la realite de ce qui a pu exister dans les campagnes de la Gaule romaine, mais la masse totale de 1’iceberg nous restera en pratique toujours inconnue, et donc aussi la reprćsentativitć de F« ćchantillon » (qui n’en est d’ailleurs par consćquent pas un, au strict sens statistique). Car il s’agit bien ici d’une prospection extensive, avec ses qualitćs (synthćse rapide sur une vaste ćchelle) et ses dćfauts (par ex. le fait d’orienter la prospection en fonction d’indices secondaires (p. 4), comme la microtoponymie ou 1’emplacement pri-vilegie des sites sur certains versants, exclut dangereusement des secteurs entiers de la prospection systćmatique) : si 1’utilite pour la gestion des archives du sol est indiscutable, la plus grandę prudence doit alors etre de misę pour 1’usage des resultats de tels travaux en vue de syntheses historiques sur 1’occupation du sol. Et Fon croit reconnai-tre ici une certaine fascination pour les chiffres, dont il faut se garder de la perversitć.
II n’en reste pas moins fructueux d’experimenter en la matiere et de discuter au fond, et dans le detail, de Futi-lisation et de la validite des donnees de prospection archeologique pour Fhistoire de Foccupation du sol. II est ćvi-dent que les methodes mises en ceuvre ne sont pas anodines quant a Finterprćtation historique. C’est Fun des the-mes abordes lors du colloque organise a Chateauroux en juin 1982 par o. buchsenschutz, et rćcemment publić (Archeologie du terroir..., 1984) ; c’est aussi la question que Fon avait eu Foccasion de dćbattre de manićre plus large a la table ronde organisee a Paris en mai 1982 par E. zadora-rio et moi-meme, dont les Actes doivent enfin paraitre au 2C semestre 1985 dans la collection des « Documents d’Archeologie Franęaise » ; nous aurons Foccasion d‘y revenir.
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