Pierre BOUZAT
Doyen honoraire de la Facultó des Sciences Juridiąues et ćconomiąues de Rennes
President de l’Institut internalional des Sciences criminelles
Ou va 1’argent ? devant les sollicitations de nombreuses associations charitables ou humanitaires, cette question revient de plus en plus souvent. L’affaire que nous rap-portons aujourd’hui renforcera encore ie doute que certains manifestent a 1’egard des quetes de toute sorte.
Frappee a 26 ans d’un cancer du foie, N. G., (aujourd’hui 38 ans), sait ce qu’est la maladie : plusieurs annees de chimiotherapie tres difTiciles et la frequentation des autres malades, pour lesquels le cancer c’etait aussi la solitude. Sortie de la, N.G., avec le slogan « Cancer tendresse », a cree, en 1983, la ligne bleue, association d’aide aux cancereux. Objectif : aider les malades, les informer, les guider. Ce qui fut fait, et bien fait : de grands noms de la cancerologie en ont temoigne !
Mais, 1’idee genereuse est devenue aux yeux de la justice, escroquerie. A partir de 1984, la ligne bleue a permis en fait a N.G. et a son entourage de vivre de 1’association. C’est ce qu’a montre la presidente de la 12* chambre du tribunal correctionnel de Paris, le 6 novembre, lorsque apres avoir rendu hommage a N.G. : « Nous savons tous le mai qui vous a frappee et que vous avez vaincu avec un courage exceptionnel. Dans ce pretoire, personne n’y est insensible », elle a voulu 1’enfermer dans la logique mathematique des recettes et des depenses. Les chiffres : 5,3 millions de F peręus en quatre ans, 1,4 million de pertes, 1,2 million de decouvert, 519 000 F de charges so-ciales impayees... En fait, 1’association etait devenue une veritable entreprise et le tribunal a chiffre l’escroquerie a ... 3,9 millions de F. En consequence, le tribunal, dans un jugement du 27 novembre 1989 (inedit), a estime fondee 1’accusation d’escroquerie commise « en creant et en maintenant artificiellement en activite, grace a des decou-verts bancaires, une association censee avoir ete creee dans un but philanthropique, alors que son objet reel etait d’assurer a sa dirigeante un train de vie elevee ».
A la verite, 1’idee initiale n’etait sans doute pas de s’assurer un train de vie eleve, mais, si 1’idee etait genereuse, la gestion fut desastreuse et la realisation touma bien juridiquement a l’escroquerie. II parait incontestable que les manoeuvres utilisees pour recueillir des dons avaient permis en partie a N.G. de vivre de 1’a^gent recueilli pour aider les cancereux.
N.G. n’est pas retoumee en prison car, le tribunal, s’il a bien suivi les requisitions du parquet en prononęant deux ans de prison, a accorde un sursis avec misę a l’epreuve pendant trois ans. On l’approuvera d’avoir choisi 1’indulgence au benefice de la generosite.
Signalons que pour collecter les fonds, la ligne bleue avait cree une societe de cour-tage publicitaire, dont les methodes ont etonne le tribunal. Lorsqu’une societe accep-tait d’acheter un espace publicitaire dans une publication de 1’association, la societe de courtage DAM, dont N.G. etait la gerante remuneree, ne donnait que 30 % du contrat a la ligne bleue. M. S., poursuivi pour complicite et condamne a quinze mois de prison avec sursis en tant que responsable des courtiers declara : « 30 % c’etait tres satisfaisant » ; « L’Institut Pierre et Marie Curie, la Fondation de France, les
Rev. science crim. (3), juill.-sept. 1990