103
★ ★ ★
Loin encore d'ecrire un recit colonial (il faut attendre le depart de l'ecrivain pour le Congo), Andre Gide se fait remarquer dans Amyntas par la forte dominantę esthćtiąue relative surtout a 1’espace; juste au dćbut de Mopsus, Gide fait entrer son lecteur a El Kantara comme s'il penetrait dans un pays de merveilles : «... Le rocher qui depuis le matin se prolon-geait a notre cóte enfin s'ouvre. Voici la porte; on la franchit.»298
Amyntas est surtout le tćmoignage de 1’artiste qui met au centre de son livre ses impressions trćs personnelles, parfois intimes; n'oublions pas que ce livre a ćte qualifić de notes de route, donc les touches subjectives trouvent ici toute leur justification car Gide est parti chercher son Arcadie; il avoue : «Qu'ai-je voulu jusqu'a ce jour? Pourquoi peinais-je? - Oh! je sais maintenant, hors du temps, le jardin ou le temps se repose. Pays cios, tranquille, Arcadie!... J'ai trouve le lieu du repos.»299
L'Afrique du Nord apparait a Gide «un lieu de paix pour l'ame et les sens»,300 mais en tant qu'Arcadie, elle satisfait une profonde illusion hu-maine : elle suspend le temps. Selon une telle perspective, il est facile de tomber dans l'exaltation devant ces elements spatiaux qui rentrent dans le mythe arcadien : le jardin et l'eau : «Soudain l'eau fuit : peręant le mur, elle entre; elle s'avance dans le jardin; au passage un rayon la perce; -le jardin est plein de soleib)301
Nous avons deja indique que Amyntas comprend la relation en fragments des trois demiers sejours en Afrique du Nord (1899, 1900, 1903-1904) qui ne respecte pas 1'ordre chronologique de ces voyages. Cependant, Gide essaye de retrouver ses endroits aimes, donc son retour en Afrique semble aussi comme une sorte de recherche du temps et de 1'espace perdus. Evidemment, l'ecrivain est surtout attentif a toutes sortes de changements qui se sont operes durant son absence en Afrique; son hic et nunc est continuellement rapporte aux voyages precedents : voici le debut des Feuilles de Route :
A 1'automne d'il y a trois ans, notre arrivee a Tunis fut merveilleuse. Cetait encore, bien que deja tres abimee par les grands boulevards qui la traversent, une ville classique et belle, uniforme harmonieusement, dont les maisons bianchies semblaient s'illuminer au soir, intimement, comme des lampes
2,8 A. Gide, Amyntas, op. cit., p. 11.
2W Ibid., p. 15.
308 J. Chadoume, Andre Gide et 1'Afriąue. op. cit., p. 91. 301 A. Gide, Amyntas. op. cit., p. 20.