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Le voyage en Afriąue apparalt a Andre Gide comme la dćcouverte des «immenses territoires de PAutre: 1'autre classe, 1'autre culture, 1'autre naturę, une part de 1’homme - et donc de lui meme - qu'il ignorait. [...] L'alterite le provoque, Pentraine, Pincline au nomadisme. Elle le fait sortir de sa familie, de son enfance close, de sa religion.»310
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Le jardin marocain est le cadre dans lequel Colette presente les per-sonnages de sa nouvelle Le Rendez-Vous car cet endroit ćtranger s'avćre un decor qui invite ses visiteurs a proclamer leurs enchantements ou deceptions vis-a-vis de ce qui est autre. Le premier paragraphe de la nouvelle est deja interessant selon cette approche :
Une sauterelle bondit hors des feves, vola avec un bruit de quincaillerie, interposa entre les cueilleurs d'oranges et le soleil ses ailes de canevas fin, ses longues cuisses seches et sa tete de cheval, et epouvanta Rosę en lui frólant les cheveux. - Hi! cria Rosę. - II y a de quoi, approuva Odette qui recula. Qu'est-ce que c'est, cette bete? Un scorpion, pour le moins. Et gros comme une hirondelle. Bernard! Je vous demande ce que c’est que ce monstre?311
La faunę du jardin marocain epouvante les jeunes femmes franęaises, pour qui la perspective d'un cocktail a la terrasse de 1'hótel est beaucoup plus attirante que la promenadę dans le jardin du pacha absent, en com-pagnie d'Ahmed, gardien de la propriete. On ne trouve rien ici des fasci-nations gidiennes du jardin africain ou, compris de faęon simpliste, du jardin oriental. La concision de Colette introduit le lecteur des le debut au coeur meme du probleme de la rencontre avec 1’autre, choisissant un endroit symbolique, «[...]le jardin, materialisation de la prćsence de Phomme sur la terre, est revelateur des rapports que celui-ci entretient avec un univers qu'il apprivoise mais qui persiste k le dćpasser»;312 endroit qui deja par sa naturę fait ressortir la plus belle part de la naturę humaine. Operant par surprise, Colette prćpare le lecteur aux evenements ulterieurs qui devoileront la vraie naturę des relations avec PAutre; cette fois-ci PAutre sera 1'Arabe, Ahmed, mais Pendroit de cette rćvelation sera toujours le meme: le jardin du pacha oriental.
3.0 P. Lepape, Andre Gide le messager, Seuil, 1997, p. 160.
3.1 Colette, Le Rendez-Vous, op. cit., p. 171.
3.2 J. Cassićre, «Le jardin, lieu mythique chez Le Clćzio», in Mythe et Modernite, Iris n° 13, Centre de Recherche sur Llmaginaire, Universitó de Grenoble, 1993, p. 189.