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les elements de la naturę, de 1'espace surtout, completement opposes au paysage connu, apprivoise, donc banał, sterile, qui n'arrive plus a assouvir le meme besoin d'absolu qu'on a observe chez Eberhardt. Nous avons deja cite ce fragment d'Amyntas dans lequel l'ecrivain confronte deux mondes, deux civilisations, 1'orientale et la sienne, qui est surtout laide quand elle veut reparer; il s'agissait de 1'amenagement de Tunis qui reęoit chez Gide le vocable de defiguration, d'autant plus triste qu'il compare la Tunis d'il y a trois ans et la ville de son sejour de 1896 :
A 1’automne d’il y a trois ans, notre arrivee a Tunis fut merveilleuse. Cetait encore, bien que deja tres abimee par les grands boulevards qui la traversent, une ville classique et belle, uniforme harmonieusement, dont les maisons blanchies semblaient s'illuminer au soir, intimement, comme des lampes d'albatre. [...] J'ai regrette la blanche, serieuse, classique Tunis de 1’automne, qui me faisait penser, le soir, errant dans ses rues regulieres, a 1'Helene du second Faust, ou a Psyche; “la lampę d'agate a la main”, errant dans une al-lee de sepultures. On plante des arbres dans les rues larges et sur les places. Tunis en sera plus charmante, mais rien ne la pouvait autant defigurer.
Le motif des lampes : celles d'albatre et d'agate, de la lumiere et de l'harmonie classique, attire Gide dans 1'ancienne Tunis, mais cet endroit s'avere aussi interessant pour 1'auteur pour des raisons litteraires ou mytho-logiques car le decor de Tunis 1'incite a s'imaginer la presence des person-nages litteraires qui y trouveraient le fond somptueux pour leurs actions. Ainsi Tunis n'est pas pour Gide un espace prive de liens avec la culture occidentale, classique, au contraire, cette ville est destinee a jouer un role beaucoup plus important: celui de decor naturel pour des ouvrages euro-peens. A ce moment Gide se place ouvertement du cóte de la culture et non de la naturę. Bien que la naturę attire, surtout le desert, le besoin de lirę et d'ecouter la musique classique deviennent imperatifs dans le monde africain.
Gide n'evite pas non plus, mais il le fait avec moderation, de mettre dans ses descriptions et sequences narratives une part de son savoir sur les pratiques religieuses, de meme qu'une presentation dćtaillee du theatre parfois obscene de Caracous :
Je voudrais savoir 1'histoire du Caracous. II doit etre tres vieux. On m’a dit qu'il venait de Constantinople et que partout ailleurs qu'a Constantinople et Tunis, la police aurait interdit sa montee sur les scfcnes; il ne se voit qu'en temps de Rhamadan. On jeune durant quarante jours du lever du soleil jusqu'au soir; jeune absolu; ni nourriture, ni boisson, ni tabac, ni parfums, ni femmes. Tous les sens, chaties le jour, la nuit prennent une revanche, et 1'on
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A. Gide, Amyntas% op. cit., pp. 27-28.