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evident c'est 1'absence de communication avec 1'Autre, 1'absence d'un vrai dialogue entre deux communautes; la premiere, indigćne, enfermće dans son mutisme programme dont le representant dans rouvrage de Colette est Ahmed, et la seconde dont les delegućs se reconnaissent a Ieur complexe de superiorite et leur etroitesse d'esprit, ce qui permet de dćchififrer les sympathies evidentes de 1'auteur. Cependant Bernard Bonnemains est le seul qui se lie d'amitie avec 1'Autre, Ahmed, ce qui est d'autant plus sur-prenant que ce choix ćquivaut a 1'abandon de son amante franęaise, Rosę, qui n'accepte pas la presence de 1'Autre, ici 1'Arabe compris comme etre humain digne de la meme compassion qu'un Europćen. Dans cette bipola-rite de comportements dont la majeure partie Test constituće d'arabo-phobes, Bernard est l'unique arabophile, mais en meme temps un person-nage emblematique, parce que lie aux grandes esperances fondees sur la volonte humanistę de surmonter le noeud colonial; ce desir n'est-il qu'une illusion de la part de l'ecrivain sensible a toutes sortes d'injustices so-ciales, ceci est une tout autre question.
Colette decrit le jardin «oriental» dans tout son mystere et toute sa somptuosite au moment de la decouverte de 1'Autre par 1'Europeen comme pour indiquer que la rćconciliation des deux parties n'est possible qu'en rapport direct avec la naturę non corrompue par la civilisation; des echos du mythe du bon sauvage sont discemables :
Un coq chanta, des coqs Pimiterent, la brise en se levant remua et rabattit Podeur accrue des cedres, le parfum des glycines, et la couleur du ciel parut entre les arbres. Bernard frissonna dans sa chemise froide de sueur. De temps en temps, il touchait le poignet de son compagnon, comptait son pouls. [...] Au bout de ia longue allee declive parut un miroitement rosę qui marquait la place ou le soleil se leverait sur la mer; le braiment dechirant d'un ane, un tintement de clochette descendirent du haut de la colline.40’
La rencontre avec 1'Autre devrait, selon Colette, avoir lieu en terri-toire etranger; ici le jardin qui apparait comme le lieu naturel de 1'auto-chtone qui y reste ancre et y gardę son identite bousculće par les Euro-peens. L'indigenophilie de Bernard pourrait etre aussi comprise comme une nostalgie rousseauiste du bonheur primitif lie au modę de vie des ancetres. La fin idyllique de la nouvelle confirme cette opinion.
Le message sur 1'Autre laisse par Colette a la fin de la nouvelle affir-me d'une part ce regret melancolique du paradis perdu lie au naturel et au simple qui caracterisent 1'indigene mais d'autre part, cet avis n'est pas depourvu d'accents patemalistes :
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Colette, Le Rendez-Vous, op. cit., pp. 231-234.