une antienne : « Nous sommes foutus... foutus... foutus... »
II y avait foule dans le hall de la gare et ma mere se fraya a grand-peine un passage jusqu’au quai de depart du train pour Bruxelles. On entourait le contróleur, on lui posait des ques-tions : non, le train ne partait pas. II attendait des instructions. Et la meme phrase revenait sur toutes les levres : « Les Allemands ont franchi la frontiere... Les Allemands ont franchi la frontiere... »
A la radio, au bulletin de 6 h 30, le speaker avait annonce que la Wehrmacht venait d’enva-hir la Belgique, la Hollande et le Luxembourg
Ma mere a senti que quelqu’un lui touchait le bras. Elle s’est retournee; Openfełd Senior, coiffe d*un feutre noir. II etait mai rasę, son visage de belette avait retreci de moitie et ses yeux słou-vraient demesurement. Deux immenses yeux bleus, au milieu d’une tete minuscule, de celles que collectionnent les Indiens Jivaros. II 1’entrai-nait hors de la gare.
— II faut rejoindre Felix aux studios... a Bruxelles... prendre un taxi... vite... un... taxi...
II avalait la moitie des mots.
Les chauffeurs ne voulaient pas accepter une aussi longue course parce qu’ils avaient peur des bombardements. Openfełd Senior reussit a en convaincre un, avec un billet de cent francs. Dans le taxi, Openfełd Senior dit a ma mere :
— On partagera la course.
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