C est a partir de ces remarques generales qu’une applłcation de la methode structurale genetique a dautres arts est possible: il ne s’agit jamais d’une etude de la formę expressive, mais d’une approche de la vision du monde qui soustend la creation esth6tique.
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»Pour abordcr la peinture dc Chagall il faut partir du milieu social dans lequel sc sont dćroulćes son en-fance et sa jeunesse: le groupe social juif de la pctite ville et du villagc russes*.73^
S. M., p. 418
Au debut du XXeme siecle, les structures fondamentales de la so-ciete russe sont fortement ebranlees et par la meme, celles du groupe social juif. Cet ebranlement s’est manifeste par l’explosion revolution-naire de 1905 et Chagall lui-eme commencera a peindre vers 1907— 1908. Le seul fait de se consacrer a la peinture implique deja une rupture avec son milieu car, sans se heurter a un interdit formel, la peinture est un »metier non juif«: »En decidant de devenir peintre, le jeune Chagall se singularisait deja dans une certaine mesure, il s’eloignait de son groupe social, temoignant par cela meme qu’il res-sentait celui-ci comme problematiąue jusqu’a un certain point*.7'1 Pourtant, il n’avait pas rompu avec lui: c’est a travers les categories mentales et affectives de son groupe qu’il continuait a voir le monde, la societe dans laquelle il avait ćte elevć. Quelles etaient ces categories?:
73b Goldmann prćcise, dans ccttc ćtude, quc ccttc comprćhension qu*il proposc dc la structurc ou des structures globalcs de l’ocuvrc dc Chagall lui a ćtć facilitćc par sa connaissance des mcmcs milicus dans !esquels Chagall a v^cu. En fait, lors-qułon lit cettc etude, on nc peut se dćfcndre de 1’impression dłune ćtonnante ren-contre entre unc approche rigourcusc et structurale ct une comprćhension intuitive des toiles dc Chagall: a moins d’unc erudition ćtonnante - et encore - je crois qułil est k peu pr£s impossible de comprcndre aussi bien le sens des figures de la peinture de Chagall, des symbóles, si l’on n’a pas vźcu dans le meme monde que lui. Aussi, cette etude des tableaux de Chagall nous fournit-elle Toccasion d’apporter quelques prćcisions biographiques sur Goldmann, qui, a notre avis, ćclairent beaucoup cettc approche de Chagall. Dc tous les textes de Goldmann, il s*agit, i notre avis, de l’un des plus bcaux. Nous dcvons ces precisions k Annie Goldmann, sa femme et sa principale collaboratrice, qui nous a ćclaire sur le monde dans lcquel Goldmann a passć son cnfance.
Goldmann, ne en 1913 a Bucarest, n’cst pas issu d’un milieu aussi pauvre que celui qu’6voque Chagall, mais il a passe son enfance dans unc petitc ville Botosani, ou il a fait ses ćtudes et ou il a bien connu les milieux juifs dont il ćtait originairc. Aussi tous les symbóles de Chagall, les images insolites, 1'enfant barbu qui symbo-lise le Christ, Tetrangćte des deux communautćs - paysanne et juive, les mitiers goyim et les personnages insolites, le joueur de violon, par exemple, toutes ces figures qui hantaient le village ct Timagination des enfants juifs lui ćtaent-elles fa-miliires. Bien quc profondćmcnt assimilć et athć, Goldmann connaissait admirable-ment la culture yiddisch, la poćsie de ses contcs et il est dommage qu’il n'ait pas pu developper plus longuement cette remarquable ćtude de Chagall, qui tćmoigne d'une comprihension aussi rigoureuse que sensiblc de son oeuvre.
74 Ibidem pp. 419-420.
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