3 Empire et sacerdoce k Byzance 123
rendu k Rhodes sur la fin de l’annee 1351, 1’historien Grćgoras a constate la majorite ecrasante de sa population byzantine, les Hospitaliers, pourtant les maitres de l'ile depuis presąue un demi-siecle, n'ayant point leur mot k ■dire sous ce rapport. Les indigenes sont « du mśme sang que nous, de foi or-thodoxe et utilisent la mSme langue que la nótre, venue de 1'Hellade. Car ils sont les fils des memes hommes qui, il n’y a pas si longtemps encore, avaient combattu de toutes leurs forces les Mteaux latins qui entreprenaient, avec une giande quantite d’armes, de les attaquer. Ces hommes avaient etó vaincus et soumis contrę leur volonte; certains etaient encore en vie bien qu'ayant alteint k l’extreme vieillesse; ilsse rappelaient, nćanmoins, le bon-heur de jadis et en parlaient m&me aux ćtrangers qui voulaient savoir com-ment avait-on echange la liberte contrę le joug de la servitude. A cela, ils TĆpondaient que leur situation n'śtait pas, et de loin, si difficile, que ęa; que, tout au contraire, l’ordre gouvemait les marchćs et les jugements dans l’ile, la cupidite si commune ailleurs lui faisant absolument defaut; l’acquisi-tion des marchandises etaient k la portće de tous, riches ou pauvres, de sorte que les habitants menaient une vie dćpourvue de soucis a cet ćgard *1.
Si le pouvoir latin presentait des avantages qui le rendaient acceptable ii 1'echelon ćconomique en ćgale mesure pour les ressortissants des couches aisees et les gens du commun, ci l’echelon de la noblesse les alliances matrimo-niales ótaient devenues une rógle gónćrale, d’autant plus frćquente que l’on se rapproctait des familles regnantes, les Paleologues et les Cantacuz£nes. Les etudes genealogiques et de prosopographie concernant l'ćpoque des Paleologues, qui ont pris un grand essor durant les derni&res dćcennies, attes-tent pleiniment cette remarque. Rćalites et etats d’esprit occidentaux ont eu, de la ‘orte, plusieurs soupapes leur permettant de s’infiltrer dans la so-cietć byzantine et d’y favoriser des prises de position diversifićes et nuan-cćes face a la rigiditć des patrons consacrćs par une longue tradition. Ce pro-cessus de diversification a travaille suivant trois directions, en produisant trois clivages dans la societć byzantine, a diffćrents ćchelons, comme suit: ■(a) a 1'ćchelon politique, par la diffusion du concept de l'unitć territoriale au ■depens de la formule medievale de 1’Empire unique et universel — pheno-mene peręu par les textes byzantins comme une rćaction de la « polyarchie * occidentale contrę la « monarchie » byzantine; (b) k l’echelon institutionnel, par les tentatives de 1’Eglise byzantine de s’ćmanciper de la tutelle imperiale et (c) k 1’echelon spirituel, par un essai d’introduire et homologuer le role de la raison humaine dans le domaine theologique, essai incame dans la dis-pute hćsychaste.
Sur les trois clivages operes au sein de la societe byzantine au temps des Palćologues et manifestćs comme autant de provocations du monde Occidental a 1'adresse des traditions byzantines, seul le premier peut passer pour reussi. En effet, il a contribuć k 1’affaiblissement et a la chute m&me de 1’Empire. Toutefois, compte tenu de ce que cet aspect a ćtć dćja abordś par l’histo-riographie, nous meme ayant traite separement a une autre occasion 1’affron-tement des notions de « monarchie » et « polyarchie» a Byzance, nous nous
Nic. Gregoras, Byzantina Historia, III, Bonn 1832, p. 12. Apr&s la chute des der-ni£res possessions des croisós en Syrie (1291), les chevaliers hospitaliers se sont emparćs de Rhodes en 13C6—1308; auparavant, le roi du Chypre, Henri II de Lusignan (1285—1324) les avait invit6s temporairement k Lnnassol (Ch. Diehl — R. Guilland — LyS. Oeconomos — R, Grousset, L’Europe Orientale de 1081 & 1453, Paris 1945, p. 588.