14
entre les deux missions. Selon Ouellet, les jesuites en Chine attirerent le peuple par la seduction, tandis que leurs freres en Nouvelle-France forcent les «Barbares» amerindiens par la crainte : « Si les jesuites savaient parfaitement jouer de la seduction en Chine pour convertir un peuple "cwilise", ii en va tout differemment en Canada. Lejeune [Paul Le Jeune] demeurera toujours convaincu que la seule maniere d*amener les "Barbares" canadiens au christianisme sera d’enraciner la crainte en eux »63. Lorsque Franęois-Marc Gagnon analyse la conversion des Amerindiens par image, il remarque la reaction differente des Chinois devant les memes objets : « Ni les Chinois admirateurs de la science et de la technique des Jesuites, specialement de I’astronomie et du calendrier, ni les Indiens des Paraguay, grands amateurs de musique et de chants, n’avaient manifeste pareille attraction pour les images »64. Claude Blanckaert va un peu plus loin: il prend l’exemple de Matteo Ricci, fondateur de la mission chretienne en Chine, et indique que « les jesuites [en Chine] comprirent que Timplantation du christianisme dans les vieilles civilisations orientales supposait une rupture radicale de liens avec TOccident [...] »65.
Bień qułaucun de ces chercheurs n’ait pousse la comparaison au-dela de la simple allusion, il n’en demeure pas moins que ces quelques evocations, si breves et sommaires soient-elle, nous ont sensibilise a Pinteret d’une etude comparee conduite de maniere systematique. Nous avons realise que la comparaison etait tres presente dans Pesprit meme des jesuites et qu’elle faisait partie integrante de leur ceuvre missionnaire. De plus, les Amerindiens et les Chinois representent, dans 1'esprit des jesuites, les deux extremes de rhumanite non chretienne, les premiers etant les plus «barbares » et les seconds les plus «civilises ». Une etude comparee devait nous permettre de mieux comprendre comment les jesuites avaient compose avec ces cas extremes et comment ils avaient adapte leurs strategies de conversion selon les groupes culturels auxquels ils avaient a faire. II devenait
63 Real OUELLET. «Projet missionnaire et hantise du pouvoir chez le jesuite Paul Lejeune en Canada,
1632-1640». dans Laurier TURGEON (ed.), Les productions symbołiąues du pouvoir, XVf-XX siecle; Silleiy, Septenuion. 1990, p. 119.
64 Franęois-Marc GAGNON, La conversion par 1'image [...], 1975, p. 101-102.
65 Claude BLANCKAERT. «Unite et alterite. La parole confisquee», dans Claude BLANCKAERT (ed.), Saissance de l ethnologie? Anthropologie et missions en Ameriąue, XVT-XVl.If siecle, Paris, Les Editions du Cerf. 1985. p. 14.