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On imagine mai la complexite des problemes materiels qu'impliquait un siege a Pepoque dassique. Pour investir une grandę place, Vauban recommande la requisition de 15 a
18.000 paysans comme ”pionniers” pour effectuer le gros des terrassements et epargner les troupes a qui ces travaux repugnaient et qui refusent parfois de les faire. 11 recommande ainsł de prevoir 50.000 sacs, 40.000 outils de parć, 100 plates-formes de canons, 2.000 ou
3.000 chariots pour le transport du materiel. Cela suppose des dizaines de milliers de chevaux car les attelages ont quatre, seize ou vingt chevaux. Bień entendu, les soldats assiegeants se comptent egalement par dizaines de milliers : on estimait que Peffectif d'un corps de siege devait §tre dix fois plus eleve que celui de la garnison attaquee, proportion que Vauban reduisit a six ou sept, sous reserve dłavoir des moyens supplementaires enormes. II y aurait eu 45.000 hommes pour le siege d* Arras en 1654 ! Cela suppose une organisation d'une ampleur considerable, d'ailleurs systematisee et curieusement codifiee. Un veritable rituel preside aux operations de sieges qui se font dans les regles de Part, de I'ouverture nocturne de la premiere tranchee, des divers travaux dłapproche, des bombardements (encore qu'il y ait parfois des arrangements et que les bourgeois versent a Pennemi de lourdes contributions pour que la ville soit epargnee comme a Lille en 1708), de Pouverture de breches, de Passaut finał et de la reddition qui se fait souvent en grandę pompę et ou il est d*usage que le vaincu complimente le vainqueur. Curieusement, Vauban compare le siege a une "ceremonie”. Toutes ces operations obeissent a des regles precises, codifiees, qu'il serait de mauvais ton de transgresser j elles sont aussi strictes que celles de la tragedie classique et il y a plus d*un point commun entre les deux (M. Parent). Pour la noblesse, investir une place est, d*une part, un jeu pour Pesprit, une sorte de science exacte, un art acheve qui obeit aux lois de la mathematique, a "Pesprit de geometrie” et d'autre part, un divertissement, un jeu pour le corps. On part assieger une ville, a la bonne saison evidemment, comme on part a la chasse ou a une partie de campagne. Pendant toute la duree des operations, on se reunira, on banquettera, on fera la f£te, on organisera de grands jeux, des joutes diverses, etc. Par ailleurs, c’est une affaire de quelques semaines, de quelques mois au plus et 1'on apprecie mai que cela s^ternise Phiver comme a La Rochelle en 1627-1628. Cela ne se fait pas.
Pour les grands sieges c!assiques, nous disposons d'une etonnante source de documentatlon s les gravures "officielles”, commandees par le roi pour immortaliser les operations... Certaines, une fois raccordees, couvrent plusieurs metres carres. Celle de La Rochelle par Callot est la plus celebre, mais celle d’Arras est encore plus riche en informations de detail. Au Grand Siecle, ces gravures sont d'une precision tout a fait remarquable, a Poppose des tableaux (commandes a certains peintres speciaiises) le plus souvent tres conventionnels. Tous les ouvrages militaires de campagne y sont figures par les graveurs avec leurs plans, et emplacements par rapport aux routes, aux chemins, aux chapelles, aux moulins, aux fours a chaux. On peut voir aussi la faęon dont ils sont effectues : materiel utilise, charrois de feiscines, outillage, creusement de tranchees, pose de mines, de gabions, installations de batteries, de terrains de jeux ou de divertissements