Les victimes des mesures de Louis XIV ne louaient pas le grand eveque de si bon coeur. II est visible que l’aveu de ses merites leur coute. II n’en est que plus precieux, et il Ten faut ecouter davantage. Bossuet, ecrit Lun d'eux, est un fin controversiste, qui tourne les choses d’une maniere delicate, et dans les oeuvres duquel regnent Tair honnete, la modestie et Tart d’etre ingenu 347). II a donnę occasion aux protestants, avoue un autre, d'apprecier son honnetete; aussi ont-ils eu toujours une grandę consideration pour son merite et son caractere 348). Et un troisieme lui concede de bien grands talents, lorsqu,il dit que plus une entreprise est difficile, plus elle est digne de Bossuet 340). Ils auraient pu se contenter de moins. Mais il y en a meme un qui va jusqu’a le presenter comme le seul controversiste catholique qui fut tres en vue dans TEglise de France, puisqu’il n'etait suspect ni aux jesuites, ni aux jansenistes, ni a Romę, ni a 1’Eglise gallicane 35°). Tout en le portant aux nues, Ton se gardę pourtant de lui donner raison dans la controverse. Bien au contraire, les evenements politiques, provoquant des coleres effroyables, rendent sa tache plus difficile. Les refugies auraient-ils abandonne leurs biens, et risque leur vie, pour ecouter maintenant posement les arguments par lesquels Bossuet essaye de les convaincre de leur tort? Ils ne sont pas tres enclins a preter 1’oreille aux paroles conciliantes de l’eveque, qui, apres tout, etait un de leurs ennemis mortels. Bien sur, ce n’est que tres timidement que par ci par la s’eleve une voix qui fait des reproches a M. de Meaux sur la conduite qu’il a eue en ces circonstances penibles 351). Son prestige personnel parait etre assez fort pour lui epargner des attaques de la sorte. Mais on ne tarde par a utiliser les evenements politiques comme une arme dans le debat religieux, et a les retourner contrę lui, ce qui a du lui causer plus de douleur que ne ]'auraient fait des accu-sations personnelles. Dans cette lutte, Bossuet n’a neglige aucun effort pour ramener les brebis egarees au bercail. II s^dressait dans ses livres a tout le parti reforme, mais, soucieux du salut des ames qui lui etaient confiees, il ne dedaignait pas de s^dresser a tel de ses anciens diocesains pour le conjurer de renoncer a ses erreurs et de revenir dans la communaute dont il sJetait separe. C'est ainsi que nous le voyons entrer en correspon-dance avec Pierre de Vrillac, ancien bailli de la Ferte-sous-Jouarre, qui s'etait etabli a La Haye 352). Son correspondant, se mefiant de ses propres forces, lui repondit par des lettres que Jean Rou ecrivait sous son nom.
347) P. Bayle, Dictionnaire hisloriąue et critiąue, art. Luther, rem. Q, t. III, p. 227; id., Nouvelles de la Republiąue des Lettres} avril 1684.
348) Lettres dc Jean Rou a Bossuet du 8 mai et du 27 juin 1686, Corresp., t. III, p. 240, 280.
349) Histoire des Ouvrages des Sęavans, aoust 1689.
350) Bibliotheąue Universelle et Historiąue, t. XI (1688), p. 451.
351) Cf. Nowelles dc la Republiąue des Lettres, octobre 1686.
352) E. et E. Haag, La France protestante, t. IX, p. 534 sq.
97