Nouveau, voila ce que Neercassel avait vu dans le tableau de Thumanite peint par Bossuet. La preparation de 1’ere chretienne par toute Tantiąuite, le travail du mystere et du miracle dans le monde, la presence toujours tangible de la Providence, devant laąuelle les ergoteries de la science humaine sombrent dans le neant, voila ce qui avait frappe les yeux du spec-tateur protestant. Par dessus les annees qui les separent et les discordes theologiques qui les desunissent, ils se tendent la main pour defendre avec Bossuet le christianisme tout court.
Les personnes et les systemes ont change. Mais en 1730 on lytte contrę le meme mai que Bossuet: Tesprit d’incredulite qui, timide au declin du dix-septieme siecle, se manifeste avec insolence au dix-huitieme. Spinoza avait deja sapę la valeur des propheties, nie le miracle, et cree un Dieu qui par Timmanence a son oeuvre, par Timpossibilite de s’en separer, a perdu et les moyens d’intervenir dans cette oeuvre et sa liberte, qui doit etre Tessence meme de Dieu. En excluant l’intervention providentielle dans la naturę, en restreignant la naturę a elle-meme, on lui assignait une cause, une loi et une fin en dehors de Dieu. Rien n’etait plus necessaire en 1681 que le plaidoyer de Bossuet pour la Providence, pour le surnaturel, qui est 1’idee directrice de tout son Discours. Le providentialisme de l’eveque de Meaux, qui ne laissait rien dans Tombre, etait la seule reponse possible a la causalite toute naturelle de Spinoza. Ainsi son ouvrage etait une arme dans la lutte que depuis longtemps il avait vu se preparer contrę 1’Eglise sous le nom de la philosophie cartesienne 461).
Bossuet a eu bientót a se servir lui-meme de cette arme.
En faisant deriver de Timmutabilite de 1’essence divine la permanence des lois de la naturę, on avait abouti a la negation du miracle, puisqu,une intervention de Dieu dans la naturę remettrait en question son immutabilite. Descartes lui-meme avait echappe a ce dilemme en fixant entre la foi et la raison un abime infranchissable. Ses disciples, moins prudents que lui, avaient donnę dans Terreur. Meme Malebranche, voulant concilier une fois pour toutes les principes cartesiens et la doctrine chretienne, n’avait su eviter Tecueil. La Providence qu'il peignait, agissant par des volontes generales, et non pas particulieres, etait bien loin de ressembler a 1’image de la Providence que Bossuet a evoquee devant nos yeux, et qui nous La fit voir intervenant dans les plus petites choses comme dans les plus grandes. Dieu etait devenu Tesclave de son ordre etabli, et Jesus Christ son charge d^ffaires. Pour le protestantisme neerlandais, qui se ressentit pendant de longues annees de la discussion violente autour du cartesianisme
461) Cf. sur la valeur dogmatique et apologetiąue du Discours: A. Rebelliau, Bossuet historien du protestantisme, p. 127 sq.; F. Brunetiere, Les difficultes de croire, p. 25 sq.; H. de Lacombe, o.c., p. 263 sq.; A. Monod, o.c., p. 91 sq.; A. Michel, Bossuet et notre temps, p. 3 sq.
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