Bossuet semporta. Souverainete du peuple? II s’en rit. Le premier etat de Hiumanite etait 1’anarchie, ou dans une liberte farouche et sauvage chacun pouvait tout revendiquer. Et une anarchie ne peut deleguer aucune souverainete a qui que ce soit. ,,Quant a ce „docte Grotius”, Jurieu a eu raison de se moquer de lui, puisqu’avec de beau latin et de beau grec il croit nous persuader tout ce qu’il veut”20).
Voila un nouvel element en cause. En meme temps nous entendons percer dans le ton une irritation croissante. L/annee suivante, il est vrai, Bossuet ecrivit encore que de tous les interpretes protestants des psaumes il n'y a guere que Grotius, s'il faut le mettre de ce nombre, qui merite d’etre lu „pour les choses”27). II se rendait compte a ce moment-la qu’il ne fallait plus compter strictement le savant hollandais parmi les protestants, et c’etait la sujet a se rejouir. Mais en 1692, dans sa Memoire sur la bibliotheąue ecclesiastiąue de M. Dupin, il eclate contrę Grotius plus vehementement que jamais.
„On croit n’etre point savant, si Ton ne donnę a son exemple dans les sin-gularites; si Ton parait content des preuves que jusqu’ici on a trouvees suffi-santes; en un mot, si Ton ne fait paradę d’un litteral judai'que et rabbinique et d’une erudition plutót profane que sainte” 28).
A partir de ce moment le nom du savant hollandais hantait son esprit sans pouvoir le quitter. II eprouva naturellement lui-meme le besoin de demeler renchevetrement presque inextricable de sentiments de sympathie et d’aversion a son sujet. 11 se mit au travail et dans les Supplenda in Psalmos qu’il publia bientót en tete de sa traduction latine des psaumes29), il evoqua une image densemble de la personne et de l’oeuvre de Grotius, et surtout de son evolution religieuse. Bossuet nie energiquement que les apótres se soient contentes des miracles comme seules preuves de la divinite du Christ, en n’utilisant les propheties que pour illustrer des choses deja admises. Le Saint Esprit, s ecrie-t-il, a dispose tout TAncien Testament de telle sorte qu’il fasse converger vers le Christ seul laccomplissement de
2(5) Cinąuieme Averłissemenł, chap. XLIX et LIII, CEuvres completes, t. VII, p. 389, 392. Dans les luttes religieuses en France les protestants s'etaient servis les premiers de la theorie de la souverainete du peuple. Apres qu’ils l’ont eu abandonnee, les catholiques s’en etaient empares (cf. V. Martin, Le gcdlkanisme politiąue et le clerge de France, p. 49 sq.). Elle n’etait donc pas nouvelle. II serait neanmoins interes-sant de rechercher dans quelle mesure la Politiąue tiree de 1’Ecriture Sainte — et surtout le neuvieme livre — a ete dirigee contrę De jurę belli ac pacis. Bień que Bossuet n’y entre pas en discussion et qu’il ne fasse qu’exposer simplement sa doc-trine, il nous semble certain qu’il avait Touvrage de Grotius sous les yeux, lorsqu’en 1693 il reprit et redigea definitivement les leęons qu’il avait faites un jour pour le dauphin.
27) Lettre au P£re Mauduit du 7 mars 1691, Correspondance, t. IV, p. 184.
28) (Euvres completes, t. X, p. 182.
20) II y travailla durant Thiver 1692-1693 (cf. Lettre a Daniel Huet du ler sept. 1693, Correspondance, t. V, p. 452). L’acheve d’imprimer est du 29 mai 1693 (Correspondance, t. XIV, p. 305, notę 2).
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