Nous disons qu’on se peut sauver dans le monde, mais pourvu qu’on y vive dans un esprit de detachement” 114). Cest un equilibre instable, qui se rompt des que Bossuet subit d’amers deboires et que la douleur se rend maitre de lui. Alors il ne se soucie plus des nuances de Tamę humaine, et ne voit plus que Tabsolu: Thomme corrompu et Dieu, le monde et la foi. II ecrit ses variations magnifiques sur le theme de Tapotre saint Jean: quiconque aime le monde ne possede pas Tamour du Pere, puisque dans le monde il n’y a que concupiscence et orgueil. II y souligne douloureusement la corruption originelle et la delectation victorieuse de la grace. La rupture entre la religion et le monde y est complete. La chair — que Vondel sait tellement admirer — est haissable autant que les peches memes ou elle nous porte. Alors que le poete parle rondement et sincerement de la pro-creation, Bossuet, pas plus que differents Peres de 1’Eglise, ne conęoit quon ose y penser sans honte ni peril. 1/amour conjugal est un remede au principe d’incontinence, remede qui nous fait mesurer la grandeur du mai, car „c’est un bien qui suppose un mai dont on use bien”. Les jeunes filles, dont le poete a tellement chante la beaute, s’etalent „pour etre des spec-tacles de vanite et 1’objet de la cupidite publique”; ce sont „des cadavres ornes, des sepulcres blanchis” 115). Avec degout Bossuet se detourne de Tabime devant lequel il se trouve. Dans ces moments de lassitude on peut mesurer la distance qui le separe de Vondel. Alors que celui-ci, plein de conviction, essaie d’enter le ciel sur le monde, Bossuet ne semble envisager comme solution possible que la fuite dans la solitude daustrale. Mais apres 1’orage il se retrouve. II demeure severe116), mais sait de nouveau distin-guer et tenir compte de toutes les possibilites de la naturę humaine117). II ne quittera neanmoins jamais la reserve qui tranche tellement sur la joie de vivre que le poete hollandais ne cesse de professer en depit de son temperament melancolique. Leur attitude respective envers „les apótres de la Contre-Reforme” caracterise ce contraste.
C’est un fait notoire que Teveque de Meaux n’a jamais aime les jesuites, qui, d’un nouvel elan, s’etaient precipites a la conquete du monde. II se sentait mai a Taise quand ils operaient a Tentour, puisqu,ils ne cherchaient que „les opinions nouvelles et douteuses"’ll8). II ne comprenait pas la ten-tative qu,ils faisaient d’incorporer les besoins de Thomme modeme a la tradition catholique, de trouver des formes actuelles pour les verites eter-nelles. Leurs efforts pour faire approuver par Romę Temploi du rituel
114) Pattegyriąue, Ib., t. III, p. 582.
115) Traite de la Concupiscence, p. 12 et 32.
116) Cf. la lettre du 22 sept. 1696 a Mme Dumans, a qui il defend de faire chanter des chansons d’amour aux pensionnaires (Correspondancef t. VIII, p. 74).
117) Le 14 mai 1695 il ecrit a Mme Cornuau de respecter la doctrine de Saint Franęois de Sales et la conduite de ce saint eveque sur les ames qu’il a dirigees (Ib., t. VII, p. 92).
118) Journal de Ledieu, t. 1, P- 147.
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