In Memoriam
Pour etinceler ainsi, la conversation de Claude n’avait cepen-dant besoin ni d’un auditoire nombreux, ni d’une occasion spe-ciale. Ou qu’ils fussent entames-dans un couloir de Furman Hall comme dans un restaurant parisien-mes entretiens avec Claude debordaient inevitablement leur cadre d’origine pour se pro-longer, a longueur de mois ou meme d’annees, un peu partout: dans 1’appartement de la rue Gustave-Charpentier, ou la grandę fenetre rend si frappant un “Paysage” pourtant familier, avec
Les tuyawc, les clochers, ces mats de la cite,
Et les grands ciels qui font rever d ’eternite;
dans la roseraie de Bagatelle, ou parler des Fleurs me semblait bizarrement naturel; dans un cafe mai ilłumine de la rue de Richelieu, ou Claude reussit a etonner un garęon spleenetique en traitant mon deca de “faux cafe”, boisson irremediablement dechue; dans le salon si calme de la maison de Linden Avenue, ou nos seances de travail en fin d’apres-midi s’arrosaient volontiers d’un petit verre de whisky (pour lui) ou de sherry (pour moi et pour Vincenette); dans 1’appartement de la rue Pierre-Demours, ou les voix de Claude et de Vincenette s’harmonisaient l’une avec 1’autre a travers une salle a manger remplie de convives.
Car sans Vincenette—et Claude ne cessait de le souligner-ces conversations auraient perdu leur saveur unique, auraient manque d’entrain. Elle etait le genie hospitalier dont la sympathie a toute epreuve rechauffait chacune des rencontres, chacune des soirees au long desquelles elle collaborait avec Claude pour nourrir l’e-sprit d’un etudiant ou pour seconder le travail d’un collegue. De meme, elle etait le genie catalyseur dont l’activite inlassable et 1’intelligence incisive, aussi nuancee que pratique, maintenaient les conditions morales et materielles qui donnaient son elan a leur
9