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Cette Afrique a demi sauvage, tous ces Espagnols la consideraient comme leur conquete [...]. Tous ranęonnaient 1’Arabe et 1’Europeen, tous se volaient entre eux, comme ceux qui, jadis, partaient par bandes des ports de San-Lucar et de Palos, pour aller conquerir Tor du Mexique et du Perou. Vint Tinsurrection de Kabylie : Ramon y gagna beaucoup d’argent. Au risque de se faire prendre et fusiller cent fois, il fit passer de la poudre aux Arabes. II est vrai que la plupart du temps il leur vendait du charbon pile, que des amis du Faubourg lui scellaient dans des boites de fer-blanc. [...] Ramon etait au comble de ses voeux; jamais il n’avait tant manie d’argent. [...] Entraine par son ami Pascualete le Borrego [...], il se mit a boire avec la frenesie des Espagnols buveurs d’eau depuis des generations. II porta une blouse a la franęaise, il commenęa a rouler les cafes-concerts et a frequenter les filles.75
On voit bien que cette image de 1’Espagnol est loin d’etre angelique, remarquons pourtant qu’il serait vain de chercher ici des jugements de valeur, on a plutót affaire a une description reflechie de ces hommes dont les traits de caractere meme pejoratifs comme la fourberie ou la predile-ction pour le vol pourraient etre legitimes a condition de mener droit au but qui est ici la possession de l’Afrique.
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Les collegues non-espagnols de Rafael et de ses amis valenciens : Piemontais, Franęais, Mahonnais ont leurs noms ou prenoms, ainsi nous rencontrons Pierangelo (un Piemontais), Juan le Mahonnais, Victor le Marseillais, Schumacher. Dans ces conditions, il ne serait pas etonnant d’oublier que cette terre qui s’appelle la colonie franęaise est habitee par quelques autochtones. La constatation de Maurice Ricord semble juste :
«L’Arabe apparait peu ici.»76 Nous avons deja parle du Maure qui ap-
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parait justę au debut du roman, inscrit dans le paradigme Je-Autre ou cet Autre est obligatoirement mauvais, dont parle Jean-Louis Calvet. Ce qui nous occupe dans ce sous-chapitre c’est la nomination, essayons donc d’observer cette non-presence ou quasi presence de 1’Arabe dans le roman de Bertrand. A la page 43 nous rencontrons Kadour, «[...] 1’Arabe qui servait d’homme de peine.»77 Quelques pages plus loin un autre Arabe, cette fois-ci baptise et vetu a 1’europeenne qui a ose interrompre le propos de Salvador 75 Ibid., pp. 24-25.
74 M. Ricord, Louis Bertrand 1'Africain, op. cit., p. 205. 77 Ibid., p. 43.