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Le fatalisme inne de llićroYne est souligne par 1’ćtrangete et la tri-stesse du dćcor dans lequel Yasmina est presentće; «des colonnes bri-sees», des dćbris de 1’ancienne civilisation sur laąuelle róde un spectre de mort, s'accordent bien avec cette «petite ame solitaire»141 de Yasmina qui chante une «complainte saharienne remontant vers Timgad illuminee des demiers rayons du soleil a son dćclin.»142 Les points d’orientation de son trajet ordinaire sont le djebel Aurós, la gorge d’un oued, assez loin du douar oii elle mćne d’habitude son troupeau et son «humble gourbi».143 Les mots en italique mettent en valeur 1’etrangete de ce contexte. Cette «preparation» a la rencontre avec un jeune lieutenant de Batna, Jacques, n’est pas fortuite, elle souligne le lien visceral de la jeune filie avec la naturę, elle justifie aussi la mefiance de Yasmina envers le jeune homme «civilisć». La rencontre impossible de deux races est marquće aussi par le comportement du gardien d’une fontaine dans la cour du bordj des fouil-les; ce «rowm/», employć des Beaux-Arts, ne permettait point aux gens de la tribu de puiser l’eau pure et fraTche dans cette fontaine. Ils etaient donc reduits i se servir de l’eau saumatre de Youed ou pietinaient, matin et soir, les troupeaux.144 L’hostilitó de la jeune filie a 1'egard du jeune Franęais trouve aussi son explication dans le commentaire du narrateur : «elle fuyait 1’ennemi de sa race vaincue, [...]. Habituće a la brutalitó et au dedain des em-ployes et des ouvriers des ruines, elle haissait tout ce qui ćtait chrćtien.»145
Au fur et & mesure, Jacques apprivoise la nomadę qui devient son amante, il apprend la langue arabe pour mieux comprendre celle qu’il aime. Eberhardt anticipe la fin tragique de sa nouvelle en accentuant «son ignorance absolue de l’ame de la Bedouine, c’ćtait un etre purement ima-ginaire, issu de son imagination, et bien certainement fort peu semblable a la realitó.»146
On pourrait supposer que la Bedouine n’est pas seulement le produit pur de 1’imagination de Jacques, «l’ame aventureuse et reveuse», mais que son imaginaire, sans aucun doute, etait aussi alimente de lectures «exoti-ques» et de recits qui ćvoquaient probablement 1’alteritć comprise comme curiositć et non une vraie rencontre de 1’Autre : d’ailleurs ce jeune lieute-141 Ibid., p. 96.
Mł Ibid., p. 95.
,4i Ibid.
144 Ibid., p. 96.
145 Ibid., pp. 97 ct 99. 144 Ibid., p. 100.