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dont la rćputation ćtait louche.»174; elle aussi a son nom, ce qui rentre dans la stratćgie romanesąue d’Eberhardt. Les deux amants
cherchent a fuir la ville, enfants du desert tous deux, pour se retremper dans le silence et le vide des horizons monotones. [...] lis ecoutaient le murmure marin des djerid (palmes) durs et, quelquefois, le chant profus et lointain des Souafa, remontant peniblement, dans des couffins, le sable envahissant chaque jour leurs cultures, disputees pas a pas, avec une patience de fourmis, au desert jaloux... Une voix immense et douce, disant la resignation a 1’ineluc-table labeur voulu par le Rab-el-Alemina, le Seigneur des Univers, dans Penchamement ininterrompu des vies.175
Le desert est un espace ou l’on renoue le contact avec 1’Inftni : le riche champ lexical du mot «mystique» affirme 1’interet pour ces autres qui sont sensibles a tout ce qui evoque le mystere. A 1’oppose des indigenes, le lieutenant de Lavaux, nouveau nomme au bureau arabe d’Eloued
ćtait un vieux saharien, sorti jadis de Saint-Cyr, mais transformć par dix annees d’administration dans le Sud. [...] Arabophobe par metier, dćdaigneux du pćkin placć sous ses ordres et livrć a sa discretion, il ćtait la terreur du bicot, du porteur de burnous en loques [...]. Quant a 1’Arabe un peu ćclaire, au taleb et au marabout, c’etaient 1’ennemi, les facheux qui se melent de comprendre la ou il ne faut qu’obćir aveuglement. Le capitaine chef d’an-nexe ćtait un homme insignifiant et faible, adonne a des etudes de botanique et d’archeologie. II eut ete bon et honnete s’il avait eu un peu de volonte et s’il ne s’etait pas desinteresse une fois pour toutes de son commandement.176
Le dćcoupage de l'univers eberhardtien est net; c’est 1’administration franęaise qui corrompt les jeunes offtciers franęais venus de Paris, le choc de ces deux camps n'aboutira pas a de bons resultats. Le rćgime de Lavaux n’ćpargne personne sauf un deira (gardę municipal), un Kabyle, homme de brigandage; c’est lui, l’homme de conftance du lieutenant qui lui trouve une femme, Tessaadith. II est interessant de rencontrer dans ce texte le personnage du docteur, comme quelqu’un deja connu de la nou-velle Le Major, dćbutant qui n’aime pas cette histoire de femme de spahi, un jeune medecin qui ose en parter au lieutenant de Lavaux, reęoit toujours la meme reponse : «on voit bien que vous ne connaissez pas les bicots!»177 Lui aussi, comme Jacques de la nouvelle prćcedente, dćsire
174 Ibid., p. 181.
175 Ibid.
,w Ibid., p. 182. 177 Ibid., p. 186.