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Et Gide, ethnographe, met deux de ces chants dans ses Feuilles de route, ćvidemment traduits en franęais; ainsi POrient et POccident se ren-contrent-ils et s’enrichissent-ils de leurs cultures. Ce joumal de voyage, profondement lyrique et intime, donnę une vision de Punivers tres per-sonnelle et conditionnće en meme temps par le regard «des enfants [...] dont il suit les dćmarches, il s’attache k eux, et ces etres primitifs retien-nent toute sa sympathie.»227 Mopsus, Mćnaląue, Amyntas etaient les patres de poćmes pastoraux de Virgile; Gide se les approprie, s’adressant a eux, mettant leurs noms en ćpigraphe (Pćpigraphe de Mopsus : Incipe, Mopse, prior, Prends les devants, Mopsus, une invitation a se reposer), renoue avec la bucolique qu'est pour lui PAfrique du Nord, POrient ou il se retrouve en compagnie de ses propres bergers : Athman, Ali, Said, de jeunes garęons attrayants. Cette vision idyllique ne le dispense pas de voir la misere arabe comme celle de trois petits enfants d’Alger «qui se partagent, non pas un poisson : une arete qu’ils ont trouvee Dieu sait ou [...]»228 ou celle dont nous allons parler dans la partie suivante de notre travail. Constatons seulement que ce groupe de jeunes garęons dont les noms propres originaux «aux sonoritćs enchanteuses evoquent une contree loin-taine parće de splendeur mystćrieuse et de gr£ce»229 est une ćlite par rap-port a ceux qui constituent le fond de cette bucolique et qui s’appellent tout simplement les Arabes : «Au dćtour du rocher, ce fut une oasis subite [...]. Puis des abricotiers gćants, un moulin, des troupeaux, des Arabes»,230 un elćment indispensable du paysage maghrćbin. Gide ne connait pas Parabe ni le sabir, son berger et interpróte, Athman, lui fait apprendre quelques mots dans sa langue matemelle : «Athman m’enseigna que jardin se disait Dj’nan en arabe, et quand il est plus “vćgćteux” : Boustan.»231 L’ćcrivain utilise des mots arabes comme «ksar», «Poued» ou d’autres mots dejk francisćs comme :
oasis, alfa, marabout qui servent d’evocation poćtique. [...] Quand on etudie Pinfluence des petits patres Arabes sur la littćrature gidienne, il est neces-saire d’etre clairvoyant, parce que derriere la plus petite histoire, des problćmes de litterature et d'esthćtique sont parfois souleves. [...] Quelques mots arabes prononces par les adolescents produisent par leur harmonique
127 R. Tahhan, Andre Gide, op. cit., p. 189.
228 A. Gide, Amyntas, p. 123.
229 R. Tahhan, Andre Gide, op. cit., p. 262.
230 A. Gide, Amyntas, op. cit., p. 107.
Ibid., p. 108.