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gloussements, posa la main sur son coeur et sur son front, et Bernard rougit
de honte pour elle.
Le geste de 1’Arabe est d’autant plus pacifique que, nous 1’appren-drons vers la fin de la nouvelle, il connalt le franęais. Le langage deprecia-tif d’Odette est chaque fois tempere par le vocabulaire moderć de Bernard. Des le dćbut du texte, deux conceptions de 1’Autre s’imposent au lecteur : celle d’Odette et celle de Bernard. Odette humilie Ahmed, ne sachant pas qu’elle le blesse directement, par les mots. «- He ha, Ahmed! cria Odette. On s’en va! Finish! Macache! Promenadę! Circulez!»235 Cette langue est la parodie du sabir; on pourrait imaginer qu’Odette, touriste de passage, a puise son savoir sur les Arabes k l’Exposition Coloniale de Paris, d’ou son ton patemaliste rappelant le fameux «Y’a bon Banania» du tirailleur senegalais de Paffiche franęaise faisant la publicite du chocolat en poudre. Ahmed leur fait visiter un parć du pacha absent; en tant que guide, il peut y introduire quelques touristes. Odette se comporte comme un barbare «europeen» dans le jardin oriental; obscrvant un detail sculpte, elle dit: «- ęa a de la gueule, [...] Bernard, hein, un motif comme ęa sur un jardin terrasse a Auteuil?»236 Ahmed reste silencieux, ce qui est une manifestation de sa dignite blessee, il semble etre un bel objet de contem-plation esthćtique, rappelant a cet endroit les beaux bergers de Gide: «Ahmed, tourne vers la mer, ćtait une parfaite statuę de 1’indifference, marocaine et agće de seize a dix-sept ans.»237
Ahmed, beau, gentil, toujours pręt a rendre service aux touristes franęais, par politesse ou par devoir, nous ne savons pas, enferme dans son mutisme et son immobilite, est confronte aux Franęais dont les mots le blessent constamment et qui se blessent reciproquement par des mots. II n'est pas besoin d'ajouter que dans ce choc des deux attitudes celle d’Ahmed est valorisee. Le champ lexical lie au mot «immobilite» se refere a Bernard : «Quelle lumiere... Pourquoi ne pas me laisser tenter par une vie longue, immobile, ici... Non, plus loin qu’ici...».238
Son reve oriental est capable d’etre plus fort que 1’amour pour Rosę. Reflechissant sur cette decision, il ne se montre pas seulement indigeno-phile, mais aussi «prepare» anterieurement a son periple en Afrique autre-ment que les deux jeunes femmes a qui il fait un reproche : «- Vous aussi,
234 Colette, Le Rendez-l'oits dans Bellu-\'ista, Paris, Ferenczi, 1937, pp. 174-175.
235 Ibid., op. cit., p. 178.
234 Ibid., p. 180.
237 Ibid., p. 178.
238 Ibid., p. 191.