5 La crise du nationalisme 151
les Quebecois («peuple ou nation ?», p. 141) hesitent encore, a cause des minorites anglophones et Cris, entre une nation ethniąue ou une nation civique.
Gian Enrico Rusconi {Italie: le defi de la Ligue du Nord) croit que le bon fonctionnement des institutions democratiques et Pappartenance a une communaute historique vont de pair et sont le signe, tant d’une reussite du systeme politique que d’une maturation de la conscience politique de cette communaute. Tel n’est pas le cas de PItalie. C’est la classe politique qui - aux yeux de Rusconi - est responsable de cet ćchec. C’est elle - le plus grave - qui «n’a pas su creer en quatre decennies une authentique nation des citoyens» (p. 103). C’est elle qui a instaureuncentralisme rigide et cotiteux, incapable cPaccepter une formule renouvellee, ou la prise des decisions soit decentralisće; elle qui a transforme 1’Ćtat dans une «republique des partis» monopolisant les circuits financiers par la corruption et le clientelisme, et exploitant la richesse et 1’esprit industrieux du Nord, pour nourrir le Sud paresseux et mafiotique, mais qui constituait sa base electorale. Dans ce contexte, la Ligue du Nord a su utiliser le «potentiel» regional cachć sous une conscience nationale ffagile pour s’opposer a cet Ćtat centralisateur, obese et corrompu. Son «regionalisme» est meme poussć plus loin, verś un desinteret de ce qui se passe dans les autres parties du pays, tendance que Rusconi nomme «ethno-democratie» et qui met en question le sens et le contenu meme de la «citoyennete».
Le cas belge aurait pu constituer, au moins jusqu’a un certain moment, un modele pour la constiuction nationale italienne. Francis Delperee {Le federalisme sau\era-t-il la nation belge?) nous montre, en effet, quelle influence positive ont eu les institutions de PĆtat belge centralise sur la formation d’une nation belge. Malheureusement, la base ethnique heterogene, sur laquelle, helas! (de nouveau, la classe politique est dćsignće responsable), les partis politiques se sont plies depuis la fin du XIXe siecle, les a conduit depuis les premieres revendications linguistiques et culturelles aux reformes institutionnelles d’anvergure. Depuis 1970, la Belgique est un Śtat avec un «federalisme superpose». Sur cette ossature complexe, trois communautes et trois regions sont en quete d’une nouvelle identite. Dans ces conditions, PĆtat federal peut-il survivre? Delperee semble reserve, mais optimiste: oui, s’il y a «suffisamment de valeurs communes... et d’interet pour les realites politiques de Pensemble federal». La nation meme seperpetuera, «si elle temoigne chaque jour d’une volonte de vivre ensemble» (p. 134).
La crise des nationalismes unificateurs, la demiere section du livre, porte sur 1’importance du religieux dans la degradation des nationalismes censes reunir des communautes transffontalieres ou multiconfessionnelles. Pourtant, la situation des pays central-asiatiques, interessanteparsa«virginite»-Ćtats qui seconstruisent en meme temps que les nations - trouve difficilement place dans ce groupe.
A la question, Le nationalisme arabe: mort ou mutation?, Ghassan Salame semble repondre: les deux. Et un constat s’impose d’emblee: ce n’est pas 1’Ćtat territorial - rongó par 1’impuissance et corruption - qui lui a repris 1’elan et la legitimation. L’attenuation progressive du clivage seculier-religieux (a cause de la pratique meme des Żtats laiques et de la position indecise de 1’Occident) a facilite la transfiguration du nationalisme arabe dans un islamisme qui retrouve, pourtant, les meme exigences: «hostilitć profonde aux frontieres 6tatiques, le refus de l’Ćtat