3 La crise du nationalisme 149
Rupnik, mais qui derive evidemment de la premiere) qui fait que, des incertitudes de l’avenir et des angoisses du present, on se tourne «vers les certitudes des origines ethniques, nationales ou religieuses» (p. 14). A 1’Ouest, les mouvements nationalistes ont une autre toile de fond, mais par leur existence meme rendent caduque 1’opinion tres repandue qui veut opposer 1’integration «civilisee» de 1’Occident a la desintegration «barbare» de l’Est. Dans une moindre mesure, 1’epuisement ideologique et la crise economique y ont leur part. Mais ce qui a rendu possible 1’apparition du nationalisme ethnique dans la partie «developpee» du monde a ete surtout la crise de 1’Ćtat, consequence de 1’inefficacite et de la conuption des institutions democratiques ou de la delegitimation des structures de 1’Ćtat federal.
Dans ce cadre a dessein explicatif et theorique, chaque etude apporte des nuances des precisions, des problemes supplementaires, mais donnę surtout realite et couleur locale a un phenomene autrement trop livresque. La premiere section, Sur les ruines de la guerre froide, regroupe les analyses de Michael Stu mi er (Ąllemagne: une nation en quete d’elle-meme), de Georges Nivat (Russie: le deuil de Vempire) et de Stevan K. Pavlowitch (Yougoslavie: de l'ideał d’un Etat-nation a la barbarie des pouvoirs eihniąues). Trois nations, caracterisees par un degre different de structuration et de cohesion, ont ete boulversees d’une maniere pro fonde par la chute du mur de Berlin.
L’Allemagne vit un insupportable paradoxe, nous dit Michael Stiirmer. Apparemment, elle est la grandę gagnante de 1’apres-gueiTe froide, mais son passe et sa politique intemationale anachronique la mettent dans un etat de paralysie. Ce «rendez-vous» echoue avec «le monde reel» renforce les incertitudes identitaires: longtemps une nation en deux Ćtats, TĄllemagne constate aujourd’hui que 1’unite politique est accomplie, mais ne peut suffire pour combler le fosse entre deux -malheureuse decouverte - «nations», separees par des experiences liistoriques, mentalites et cultures politiques differentes. La dispute des symboles nationaux (p. 52-55) et la necessite de concilier des realites contradictoires sont emblematiques pour 1’etat d’indecision d’une classe politique qui veut redomier Tunite a une nation divisee.
Pour Georges Nivat, la problematique de la «connaissance nationale de soi», tres vive en Russie apres la perte de 1’empire, a une riche ascendance intellectuelle. La haine de la Russie (la «misopatrie»), «l’hysterie paranoiaque de rencerclemenb> et 1’etrange et paradoxal desir d’une synthese entre empire et liberte sont autant des elements de la psyche russe, revigores aujourd’hui comme au temps de Tchadaev ou Pouchkine. Ils constituent les ingredients de la conception «eurasienne», devenue prevalente, d’une Russie imperiale (mais non imperialistę) liee, d’une maniere mystique, par la geographie, des autres peuples de la plaine eurasienne. Dans ce monde, «la concorde... est le concept de base, accentue Nivat, et pas la democratie discordante» (p. 70). En effet, une simple lecture de 1’histoire montre que la Russie n’a jamais ete une Russie de citoyens, ni non plus une Russie exclusivement russe. C’est pour cela, sans doute, qu’elle a du mai, aujourd’hui, «a se penser hors du concept d’empire, de puissance, de patrie des peuples» (p. 72). Dans cette perspective, la reussite democratique et la constitution d’une nation civique semblent tres douteuses.