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a exister par lui-meme, mais pour la communaute, ce qui le pousse a faire de grandes choses. On a vu que l'inquietude est un moteur cognitif de rhomme. L’inquietude est une formę d'humilite, car elle est conscience de fragilite et de finitude. Si rhomme agit, selon Newton, par orgueil, il connait par humilite. Le savoir et le faire n'ont jamais ete aussi opposes ni si interdependants.
Pour Bouveresse, « les devastations linguistiques sont annonciatrices de devastations beaucoup plus graves, du point de vue social et humain123 ». Christian Salmon s'inquiete de la meme maniere de la « crise mondiale de narration, dont le symptóme le plus visible est une inflation narrative, la substitution de 1'anecdote (story) au recit (narrative)124». A la fin de son essai, Salmon revient sur l'exergue de Un captif amourewc de Jean Genet: « Mettre a 1’abri toutes les images du langage et se servir d’elles, car elles sont dans le desert ou il faut aller les chercher125». Salmon interprete cette recommandation comme «la seule maniere de mettre a 1'abri le langage, c’est de s’en servir ». Raconter des histoires qui ne soient pas des anecdotes substituables les unes aux autres, comme 1'entreprennent le corpus orał des rumeurs et des legendes urbaines, qui sont parfois les seuls recits de nos vies, entre reel et fiction, mais sans imaginaire. II ne s'agit pas d’ecrire de grands recits, au sens d'epopees, que ce soit celle d’Ulysse, celle de Noe ou celle de Don Quichotte. L’enjeu est plus modeste: faire triompher 1'imaginaire sur le reel, car le reel n’a qu'un avenir, celui du possible, celui qu'on lui imagine. Ecrire des propheties, meme sur un modę anecdotique comme le fait Thierry Ehrmann, c'est investir le reel et le faire sień, c'est ne plus le laisser nous dominer et mener nos existences. Les coulisses du theatre, composantes de 1'espace theatral, ont bien ce sens d'extrapolation imaginaire de la scenc du monde. Invisibles depuis la salle, elles existent pourtant, et nul n'en est dupę. Ces coulisses sont cet espace a s'accaparer, par la diction et le langage, la cour et le jardin de 1'actualite, ses contextes, conjonctures, et nos interpretations. Construire un sens au monde, c’est avoir une revelation et la poser comme irreductible au realisme.
La proferation prophetique a ainsi, au-dela de 1'authenticite de sa capacite de prediction, une valeur narrative, qui permet peut-etre de mettre a Tabri le langage. Elle lui permet, en tout cas, de reintegrer son envergure performative, qui est pour beaucoup tombee dans 1'oubli, puisque le langage ne nous sert aujourd’hui souvent plus qu’a obeir -a son chef, a des normes sociales de communication... Puisque la revelation est de 1’ordre de la connaissance transcendentale, elle permet de nous prendre pour des divinites. La faęon dont les medias nous transmettent 1'actualite du monde a tendance a niveler par le bas la conscience humaine du monde, puisque la lecture du reel se fait de faęon formatee et destinee a tous. Elle nous plonge dans l'inquietude immobile, car elle nous
123 Satire et propheties, Op.cit
124 Verbicide, Op.cit.
125 In Yerbicide, p.l 13
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