136 Benoit Yerhaegen
Les soul&vements populaires (ou rćbellions) des Simba et des mulćlistes, en 1964, eurent parfois 1’allure d’une guerre paysanne opposant les ruraux aux habitants des villes, mais ils revetirent ćgalement, surtout au Kwilu, avec Mulele, les caracteristiąues d’un combat rćvolutionnaire et populaire visant a renverser la bourgeoisie et la classe gouvernante pour instaurer un regime socialiste. Les facteurs « tribaux »joućrent un role certain tant dans la mobi-lisation des partisans que dans les oppositions qu’ils rencontrćrent. L’inter-vention des mercenaires europćens donna ćgalement, k un certain moment, une tournure anticoloniale et antiblanche aux rćbellions, sans que cette compo-sante fht jamais essentielle.
Les deux guerres du Shaba, en 1977 et 1978, se presentent comme des guerres de libćration nationale aux contenus idćologiques et politiques incer-tains. Leur objectif dćclarć etait de renverser le regime, mais les motivations tribales et regionalistes y joućrent un role, ainsi d’ailleurs qu’un certain anti-occidentalisme, perceptible surtout k 1’egard de la France et des Ćtats-Unis d’Amćrique.
Chacune de ces « guerres civiles » a fait 1’objet d’ćtudes plus ou moins systematiques de la part d’ćquipes de chercheurs. Je songe aux membres du Centre d’ćtudes politiques, k Kinshasa, k ceux du Centre de recherches et d’informations sociopolitiques (CRISP) et du Centre d’ćtudes et de documenta-tion africaines (Cedaf), i Bruxelles. C’est au cours de ces recherches — menees sur le terrain et en bibliothćque — que fut ćlaboree la methodologie de 1’histoire immćdiate, dont nous rappellerons les traits essentiels dans une premićre sec-tion, et qu’une strategie particulićre a ćtć misę au point pour la collecte et l’expIoitation des sources documentaires et vivantes. Nous avons ćtć stimules par la diversitć des types de conflits et par le fait que les sources d’information et les techniques de recherche variaient considćrablement d’un conflit k 1’autre : si la lutte anticoloniale donna lieu k une documentation abondante et variee, d’origine officielle ou non, les guerres « tribales », elles, furent presque tota-lement muettes. Les rares documents disponibles sont le plus souvent entaches de partialitć. En revanche, les acteurs, surs de leurs droits et parfois bien informćs sur un aspect des choses, parlent avec abondance quand on les interroge. Les soulćvements paysans, peu productifs en documents k leurs dćbuts, ont, en s’installant dans les territoires conquis, sacrifić aux exigences de la bureaucratie et donnę lieu k une abondante documentation de valeur inćgale; les sources orałeś se sont rćvćlćes trćs fćcondes et precieuses, surtout comme complements et instruments de controle des documents.
Les guerres du Shaba sont sans doute les plus difficiles k connaitre. Comme elles ont opposć un rćgime k pouvoir absolu contrólant rigoureusement 1’information k un adversaire pour qui la discrćtion et le mystćre ćtaient des nćcessitćs stratćgiques, il est normal que 1’information soit totalement contra-dictoire ou deficiente. Les documents officiels mentent; les autres font dćfaut;