9 LES INTELLECTUELS DU SUD-EST EUROPEEN (XVIie s.) 189
population, ou par des actions militaires róussies, telles que la conquete de la Cróte, de Kamenitza et de 1’Ukraine occidentale, ainsi que par 1’ćclat de la cour du padischah. Un yoyageur europóen qui eut, a Cons-tantinople, Toccasion d’assister aux splendides parades du sułtan en gardait, tout comme ses ancetres en prśsence du faste byzantin, une image de grandeur sans pareille: «Toutes les descriptions d’entróes, des triomphes, de tournois, de carouzels, de mascarades et de jeux faites a plaisir, que je me souyiens ayoir leues dans les romans, n’ont rien qui doive les faire entrer en comparaison avec la pompę de celle effective que je considśray exactement, ayec tous les estrangers chrćtiens qui s’y trouvórent. »12 Et pourtant, d6s cette ópoque, 1’Empire śtait sapś & la fois par ses vices intórieurs, par les programmes expansionnistes des grandes puissances europóennes et par les nouveaux espoirs de libś-ration, formós lentement mais surement, des peuples subjuguśs. Parmi les tómoins occidentaux, plus d’un est conscient de cette faiblesse mas-quće par le faste oriental et par les dehors de la puissance. Eobert Man-tran constate l’existence de cette conscience dans la seconde moitió du XVIF siacie : « Le spectacle de 1’incapacitó des sultans, de la concussion ou de 1’incompśtence de leur entourage, la dśgradation de la valeur mili-taire ottomane et notamment de la flotte conduisent les Occidentaux a agir avec plus de dósinvolture, sinon d’insolence. On ne redoute plus le Turc, on traite avec lui d’śgal a 1’śgal, parfois meme de vainqueur k vaincu. C’est une sorte de revanche du chrśtien sur le musulman, un rśtablissement, fait d’une faęon pacifique, d’une situation longtemps fayorable aux Turcs, un renouveau de 1’influence latine ou franque dans le Proche Orient et k Constantinople meme. »13
Pour sur, ce qu’ótait a meme de constater un śtranger de passage dans 1’Empire śtait depuis longtemps óvident pour l’observateur autoch-tone. Ainsi que nous verrons plus loin, la conscience d’un nouveau climat autorisant des espoirs et des initiatives de libóration se faisait de plus en plus sentir a mesure que l’on approchait de la fin du XVII® siócle.
L’histoire de ces annśes compte de plus en plus frśquemment comme acteurs des yoiyodes en pourparlers ayec les chancelleries de Vienne et de Moscou, les envoyćs — laics ou religieux — utilisós pour ces pourparlers, des chefs militaires insurgśs et des haidouks recrutós parmi les populations chrćtiennes de 1’Empire. Mais, tout aussi frćquemment, apparaissent des personnages dont l’ceuvre comporte des dimensions et des visóes bien plus vastes, puisque le fruit ne devait en etre cueilli que
lł Antoine Galland, Journal... pendant son sijour & Consłanłinoples (1672— 1673), pu-
Jbli6 et adnotś par Charles Schefer, t. I, Paris, 1881, p. 122.
13 Robert Mantran, Istanbul dans la seconde moitii du XVII• siicle, Paris> 1962,
p. 621.