17 LES INTELLECTUELS DU SUD-EST EUROPEEN (XVH« S.) 197
Les contacts assidus du docte franęais avec les intellectuels europśens ou turcs śtaient complśtśs par la frśąuentation d’une catśgorie spćciale d’auxiliaires de la culture, souvent plus rśceptifs que les śrudits — es-clavesde la tradition — aux nouvelles tendances et aux nouyelles prśoc-cupations intellectuelles : les marchands de liyres. «II y a & Constan-tinople et aux lieux yoisins, note-t-il, plusieurs manuserits grecs ou entre les mains des Turcs qui les ont pris sur les Chrestiens, ou chez les Grees, particuliórement les moines ou les prestres et leurs hśritiers; et les uns ■et les autres s’en soucient a yendre. » 33 Avec leur aide, Galland rćussit a aequśrir des ceuvres remarquables. Quant au profit qu’il a tirś de telles frśquentations, toute son activitś d’orientaliste 1’atteste. Au cours de celle-ci, il se convainquit de la valeur de la culture orientale, ainsi qu’en tśmoignent ces paroles : «Tous ces liyres si diyersifiśz donneront lieu de faire rśflexion que les sęavans des nations orientales ont un grand champ pour acguerir chez eux ce que Von appelle órudition.» 34
Galland ayait trós bien obseryć que le manuscrit et le livre sont d’excellents indices de la circulation des idśes, de 1’intensitś et des nu-ances de la yie intellectuelle3S. Dans la formation d’un nouveau type d’in-tellectuel oriental, aussi bien que dans le renforcement des contacts Orient-Occident, le livre joue un role de premier plan. Des lectures abondantes -et yariśes deviennent au XVII® siecle une pratique et une passion pour 1’humaniste sud-est europśen. L’ «śloge du livTe» du au chroniqueur moldave Miron Costin 36 et frśquemment citś, d’unepart, les catalogues des bibliotheques roumaines et grecques de la pśriode prś-moderne, d’autre part, attestent le nouveau courant. II apportait de l’Oceident, avec les liyres, ce besoin nouyeau de lecture, qui visait a satisfaire non seulement des buts strictement doctrinaires, mais aussi la simple cu-riositS et le plaisir 37. Soulignons qu'un courant semblabe de textes avait lieu en sens inverse. La chasse aux manuserits orientaux — grecs, arabes, persans, coptes, turcs, caraites, armśniens, hćbreux, etc. domine toute
33 A. Galland, Journal..p. 275.
34 A. Galland, dans sa Prćface k la Bibliothłquc Orientale ou... Dictionnaire uniuersel
conłenant gćneralement tout ce qui regarde la connaissance de VOrient par M. d'Herbelot,
Paris, 1697.
36 Concentration de la pensće, moyen de diffusion rapide des idćes, instrument crćant de nouvelles habitudes de travail intellectuel — le liVre (et non seulement le livre imprimć) a fait robjet, en tant que facteur de civilisation, des jugements lucides de Lucien Febvre, dans sa Prtfacc k L. Febvre et H. J. Martin, Uapparition du livre, Paris, 1958, p. XXV.
35 * II ne saurait y avoir dans toute la vie de Thomme de plus utiles et de plus beaux loisirs que la lecture », 6crivait k la fin du XVII® sifcele le vieux chroniqueur moldave : v. De neamul moldooenilor (Sur le peuple des MoldaVes), dans Operę (GEuvres), ćd. P. P. Pa-naitescu, Bucarest, 1958, p. 244.
37 Voir dans ce sens les analyses pertinentes dłAlexandru Du^u, Peregrinarea córfilor •de „desfdtareM brtncoucncęti (La pćrigrination des livres de « distraction * de Constantin Brln-coyeanu), dans son ouvrage Coordonate ale culturii romdnęeti tn secolul XVIII (Coordonnćes de la culture roumaine au XVIII® sifccle), Bucarest, 1968, pp. 25 sqq., od il s'agit aussi des <lerni^res dćcennies du siacie prćcćdent.