33 LES INTELLECTUELS DU SUD-EST EUROPEEN (XVUe S.) 213
populations de la Mśditerranśe orientale. De puissantes colonies orientales formaient dans la citć des Doges une «seconde Byzance», excellente tete de pont yers l’Occident pour les Grecs, mais aussi pour les Armś-niens, les Boumains et les Slaves du Sud 82.
De trós sórieux motifs intelleetuels yenaient encore s’ajouter a l’at-traction qu’exeręait Padoue sur les Europćens orientaux. Les idćes de ce centre de spiritualitć europśenne connaissaient au XVII* siecle une eyolution paradoxale, faite pour sśduire les spoudees de la Turcocratie. On y relfeye en effet une attitude rśsolument rśaliste quant aux probtemes qui se posaient aux intelleetuels, probl£mes dont les Vśnitiens mettaient toujours au premier plan les aspects immćdiats, contingents, concrets 83. C’śtait 1& un premier argument pour une jeunesse qui ne pouvait perdre de vue 1’acuitó politique de la crise dont souffrait son monde, pour s’adon-ner a des jeux de 1’esprit de haute tenue intellectuelle certes, mais qui pour elle n’en ćtaient pas moins gratuits. D’autre part, en revanche, au eours des dóbats scientifiques pleins de gi’aves implications thśologi-ques ou philosophiques du dćbut du XYH* siecle, ces dśbats qui allaient dśterminer «une mutation intellectuelle du siecle», Padoue s’śtait mon-tróe conseryatrice, fidele a la pensśe aristotćlicienne et rśservće ou meme rćfractaire aux «noyateurs», qui, ayec les astronomes en ayant-garde, por-taient ayec Copernic, Galilće et Kepler des coups yiolents a la coneep-tion bien ordonnśe et rassurante du Stagirite. Au moment ou en Oc-cident 1’apparition des idśes de Bacon et de Descartes semait le trouble dans les esprits, a rUniversitć de Padoue trónait dans toute son au-toritć le syst&me philosophique de Cesare Cremonini, rśsumć des coneep-tions aristotćliciennes sur la naturę, la mśtaphysique et l’ame, qui ćtai-ent cultivśes depuis plus de trois cents ans dans ce centre d’enseigne-ment yśnitien. C’śtait, la encore, une circonstance propre a attirer les candidats ćlevćs dans la droite croyance de 1’Orient orthodoxe et rśfrac-taires aux innoyations rśyolutionnaires dont 1’Occident «papiste » ou rć-formś ótait le promoteur. Le fait enfin, que tant de gćnśrations de pro-fesseurs grecs — et notamment Thćophile Corydalće, le maitre incon-testć de la philosophie leyantine au XVII* siecle — ayaient ćtś formćes a Padoue constituait encore un ćlóment de naturę a pousser la jeunesse sud-est europśenne vers ce centre uniyersitaire d’Occident.
Les conditions crćóes par la Turcocratie ćtaient, śyidemment, bien trop dśfavorables pour que le żele novateur, qui s’śtait manifestć d&s 1593 par la rśforme de 1’Academie patriarcale de Constantinople, put aller jusqu’a transfórer les solides traditions universitaires italiennes dans
82 Cf. D. J. Geanakoplos, Greek scholars in Venicef Cambridge, Mass., 1962, pp. 1 — — 40 et Steven Runciman, The great Church in captivily> Cambridge, 1968, pp. 221—223.
83 Cf. L. Mabilleau, Etude hislorique sur la philosophie de la Renaissance en Ilalie (Cesare Cremonini), Paris, 1881, pp. 94 — 95.