42 Ali al'Amin Mazrui
En un sens, le grand mediateur entre le chercheur et les donnćes, c’est la mćthodologie. Les mćthodes d’investigation et d’analyse constituent la base fondamentale d’interaction entre le spćcialiste et l’objet de son ćtude. Les problćmes de mćthodologie peuvent dćs lors se diviser en deux catćgories, avec, d’un cótć, ceux qui concement le spćcialite et, de l’autre, ceux qui se rapportent aux donnćes.
S’agissant du chercheur, le premier problćme a trait au lien entre mćthodologie et idćologie. Dans bien des cas, opter pour une mćthode particulićre d’investigation et d’analyse, c’est en realitć formuler un choix idćologique. L’ideologie peut se dćfinir ici comme un ensemble d’idćes, de valeurs et de perspectives qui conditionnent les orientations, les prćfćrences d’un individu et constituent parfois pour Iui la base d’une solidaritć avec d’autres individus ayant des orientations similaires. Une mćthode de recherche, c’est, par ailleurs, une faęon particulićre d’aborder le problćme de la collecte des donnćes, les techniques de leur analyse, les criteres de leur interprćtation et la logique du raisonnement qui prćside 4 1’ensemble du processus. La question qui se pose alors est celle-ci : le choix d’une mćthode donnće est-il sćparable, chez le chercheur, du champ plus large de ses orientations idćologiques, 1’idćologie sous-jacente pouvant etre ici le traditionalisme, le nationalisme, le libćralisme, le socialisme, l’humanisme ou la conjugaison de deux ou plus de ces grandes tendances normatives?
L’idćologie pćse-t-elle plus directement sur l’objectivitć de la recherche lorsqu’il s’agit de 1’histoire actuelle ou, au contraire, lorsqu’on ćtudie le passe ? Dans l’Afrique d’aujourd’hui, le risque est plus grand d’avoir une science politisće en raison meme de la politisation ćlevće des socićtćs africaines en gćnćral. II est trćs difficile, pour un chercheur africain, de taire ses sentiments nationalistes et son opposition normative a rimpćrialisme lorsqu’il ćtudie Fexperience coloniale. Des specialistes aussi ćminents que Cheikh Anta Diop se sont vu accuser de nationalisme dans leurs travaux sur 1’ancienne Egypte, et a fortiori dans leurs analyses de la politique contemporaine dans l’Afrique du xx® sićcle. Certains commentateurs — surtout occidentaux — de l’ceuvre de Cheikh Anta Diop Font parfois accuse de se servir des splendeurs de 1’ancienne Egypte comme d’une arme dirigće contrę Fimpćrialisme et 1’arro-gance culturelle de 1’Europe moderne8.
Mais les dćfenseurs de Cheikh Anta Diop pourraient rćtorquer que les
2. On trouvera une amorce de dćbat sur les commentateurs critiques de Cheikh Anta Diop dans le manuscrit de Mutombo-Mpanya : « Ideology and methodology in African ancient history », op. cit. Je tiens h remercier personnellement M. Mutombo-Mpanya des conversations fort enrichissantes que j’ai eues avec lui sur ces problćmes.