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reellemcnt est trós piąunnte, les sćduit et leur paralt facile k saisir. mais, comme ils n’ónt ni son esprit, ni ses rćminiscences, ni ses rćpertoires, ni la magie de son style, ils ne peuvent iiniter que son audace, son irreligion, ses obscenites, ses cliquetis d’idćcs, ses antitheses de mots, ses rapprochements d’objets ćloignćs et disparates, etc., c’est-ft-dire, tous ses dć-fauts. Les courtisans d’Alexandre, singes de leur maitre, ne copiaient parfaiteinent que son cou pen-chć.
Les admirateurs adolescents de M. de Voltaire ont encore pris de lui le ton de se dechatner contrę les Arisłarques. Cc sont, les entendre, des Zoiles, des esclaves qui se tiennent derrióre le char des triomphateurs pour les insulter. des reptilcs vcni-meur, des serpents qui mordent la limę, des anes, des aliborons, ćtc. ; on ferait des voluincs dc toutes les honnetetós qu’ils reęoivcnt d‘e ces messieurs et dc toutes celles, en parliculier, qu'ils me prodiguent avec une constance admiraltlc depuis unc trentaine d’annćes.
S’ils s.rvaient comhien peu je suis scnsiblc 5 ces ćruptions injurieuses de ramour-proprc irrite, ils nc se donneraient pas tant de peine dans Pesperance de m’cn faire. Eh, quei est l’avanlagc qu’ils recueillcnt de lcurs satires ? Quand elles ont quclque sel (cc qui est on nc pcut pas plus rare), 1$ public s'en amuse ; mais il n’en aime pas moins lc censcur qu’ils vou-draient rendre odieux. II suit par quel motif on le dćnigre. Un de ces petits auteurs. destinć de toutc ćternite k servir dc jouet k la critique, s’cxhalait dans un cafć en invectives contrę moi. Quclqu’un qui nc le connaissait pas dit tout haut : Je parie que Mon-sieur est auteur et qu'on Pa traite comme il le meritc dans VAnnie littiraire...
Cettc rćvoltc contrę la critique est un des plus grands obstaclcs aur progres des Arts, comme elle
est la marquc la plus ćvidcntc d’un esprit ćtroit et d'une vanitć mai entendue. Car enfin. si Pon consul-tait les YĆritables interćts de sa gloire et de sa fortunę, ne devrait-on pas savoir gre 6 un censeur qui nous montre nos fautes et nous met dans la voic de faire mieux ou d’abandonner une route ingrate, dont le ternie est le mćpris joint a la pauvretć ? Une seule fois dans ma vie, j’ai eu la satisfaction de voir ma critiquc produire un heureux elTet.
. II parut en 1755 un roman anonyme plus que mćdiocre ; je Papprćciai a sa jusie valeur. Deux jours apres, un jeune homilie qui nPćtait inconnu, enlre dans mon cabinet, mc saute au cou et nPerubrasse avec transport :
* — Je vicns, monsieur, me dit-il, vous erprimer
> toute ma reconnaissance ; vous m’avcz rondu un
> service que je n’oublierai jamais : c’est moi qui
> ai fait ce mauvais roman si hien ridiculise dans
> votre dcrnićre feuillc ; vous m’avez corrigć pour
> toujours ; sans vous, sans votrc critique ofTicieuse, » j'aurais grossi la tourbc des plats ecrivailleurs * bafoues dans cette capitale. Vous m’avez ouvert » les ycux ; c’en est fait, je renonce a ćcrire, et je » vais tourner incs pas et mes yucs d’un autre cótć. >
Ce jeune homilie a teuu parole. II remplit aujour-d’hui avec distinction une place honorable de vingt mille livres dc rentes.
La carriórc ćpineuse que je cours serait une arćne emaillee de tleurs, si tous les nthlćtes ćtaienl nussi raisonnablcs. Un de mes etonnemenls est qu’ils iPaienl pas le bon esprit de se juger avec Pequitć qui les ćclairc par rapport aux autres. Ma censure tombc-t-elle sur un de leurs amis mdmes ? Ils la trouvcnt juste, impartiale, plaisante : ils en rient en cachettc avec quelques confldents discrets. Cc n’cst que lors-que je m‘avise d’attaquer leurs propres ouvrages quc je suis un sot, un cuistre, un scćlerat, un monstre, etc... •