nomme quelqu’un grand artiste ou grand penseur, ce sont ses succes hors du cercie des specialistes. C’est la modę qui est le critere principal, la modę qui lance un nom pour un peleton des “imitateurs”, un nom aussi bien d’un sportif, d’un acteur, d’un politicien, d’un homme d’affaires, d’un philosophe ou d’un chef des terroristes. La tele les met a 1’egalite dans le meme petrin, on cesse donc de demander ou est la raison de les hausser. Les causes et les effets d’etre en vogue sont une magma non differenciee. Eh bien, Jacques Derrida est a la modę — au meilleur sens du mot — car il est devenu l’un des plus penetrants et perspicaces temoins de notre temps. C’est une epoque desequilibree, indecise, vivant d’un instant, qui envisage tous les projets et tous les ideologies historiosophiques avec aversion sinon hostilite, l’epoque toujours a la chasse des plaisirs intenses et varies, convaincue de 1’impunite puisqu’il n’y a pas de valeurs incontestables ni criteres si fondamentaux que Ton puisse les considerer comme les plus im-portants etc. En s’appuyant sur ces aspects de la conscience courante dont s’inspirent les sociologues de la culture, aussi bien her-meneutiques qu’analytico-empiriques, on a pu formuler l’hypothese des changements de la culture a ses fondements. On a du envisager aussi ces changements d’une autre perspective, beaucoup plus com-pliquee c’est-a-dire du point de vue de la conscience philosophique. Justement cette reflexion concernant 1’heritage intellectuel et ses perturbations actuelles a ete brillamment repris par Derrida des ses premiers ouvrages dans les annees 60. Parfois on entend dire — sur-tout par ceux qui ne connaissent ses livres que par 1’intermediaire des comptes-rendus ou ceux qui en ont seulement feuillete un — qu’il traite cet heritage d’une faęon arbitraire, qu’il le deforme, qu’il manipule les idees des auteurs classiques en les extrayant de leur propre contexte. Ce n’est qu’un pur mensonge, sinon une veritable calomnie. Derrida est un incroyable erudit; en plus, tout en accord avec ses principes que tous les textes se pretent a 1’incessante reinterpretation, a chaque fois, il en fait ressortir, d’une maniere originale et creative, des richesses qui ont ete ou bien negligees ou passees sous silence. La lecture des auteurs classiques avec lui et selon lui, c’est de faire tourner le metal a 1’eclat du soleil. Cela arrive dans tous les cas — a partir de Platon par Kant, Hegel jusqu’a Nietzsche et penseurs du XXe siecle Husserl et Heidegger. La meme chose se passe quand Derrida a a faire une exegese ou un commentaire d’un prob-
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