Comptes rendus
La Cite des lyceens
notion de philia, tout comme la naturę des epreuves auxquelles elle est confron-tśe, faite d’ordre$ de grandeur differents, parfois incompatibles, et traversee par le souci constant de preserver la sśparation des diverses spheres et avant tout celle opposant la vie juvćnife a fordne institu-tionnel. La difficulte de construire un veri-table modele politique a partir de la philia słancre a ce niveau, tant elle est definie par une inconsistance que les lyceens s’ef-forcent de preserver. Elle se caracterise ainsi par Tincommensurabilite de la per-sonne aux evaluations standardisśes aussi justes soient-elles, Texistence dłune normę de solidarite avec les pairs supe-rieure k la dćontologie de la dasse, prin-cipę d’insubstituabilitó des personnes les unes aux autres” (p25l).Au sein du regroupement structure par la philia, le consentement “privś” des personnes prime a tout moment sur les epreuves de veritś k venir. En fait, la philia est d’emblee definie par la tension constitudve de fex-pśrience lyceenne toujours susceptible ainsi dłentrer dans les exigences de rści-procite propres aux univers politiques, toujours susceptible aussi, et simultane-ment, de se satisfaire simplement de la contagion emotionnelle propre a la com-munaute juvćnile.
La th&se de Rayou est seduisante et paradoxale. D’une part, on ne peut que le suivre lorsqu’il demontre l'existence au sein du lycee lui-meme d’un 44autreM lycee propre aux jeunes, et anim6 par une sous-culture spćcifique des jeunes, construite de maniere largement indćpendante de normes de finstitution scolaire. Sur ce point, le merite de 1'auteur est de rendre compte non seulement de ses particulari-tśs,mais surtout d’avoir soulignś que pour les annćes quatre-vingt-dix fessentiel du rapport des lyceens k fćtablissement et aux normes scolaires se dćfinit moins comme "resistance” ou "indifference” que comme “róticence”, emplie eJle-meme dambjyalence.
Mais, dautre part, la these de 1'auteur selon laquelle cet univers juvćnile construit une Cite i sociabilite pacifiee, animee par des principes sinon universali-sables, au moins universels de justice, est bien plus polemique. Meme si on laisse du cótś le fait que fessentiel de la recherche porte sur des lycśens appartenant a des couches moyennes supćrieures, ce qui oblige a nuancer quelques genśralisations, trois types d'interrogation subsistent. Dłabord, on peut s’interroger sur le besoin de formaliser en termes de modfcles politiques de justice ce qui n ap-parait largement que comme le fruit d*une sociabilitó informelle, propre a toute orga-nisation, de surcroit ici marquee par fex-tension d’une sous-culture juvćni|e. Ensuite, parce ąuk vouloir prouver fexis-tence de la Cite de la philia fauteur est contraint, a son corps defendant,de durcir la distance separant les lyceens de fćta-błissement, au point de refaire apparaitre une opposition (meme molle) entre les deux univers qui affaiblit considćrable-ment la th&se de la reticence lyceenne. En tout cas, fidee de la reticence lyceenne est elle-meme rśtive a fidee d'une opposition entre deux modćles de Cite, et cette derniere n est nullement necessaire pour expliquer la difficulte a constituer les lycćens en vćritables partenaires poli-tiques au sein de fćcole. Enfin, et peut etre surtout, il y a que!que chose de para-doxal dans la volonte de trouver des principes de citoyennetś dans la vie juvenile elle-merne. Uauteur semble alors glisser de fidśe de fexistence d’un cadre norma-tif informel parmi les jeunes k faffirmation que celui-ci constitue k part entićre un modele de Citó.
Danilo Martuccelu
Universite de Lille 3, C.N.R.S.-CADJ.S.-E.H.E.S.S.
£ducation et Societes n° 3/1999/1