L'etre humain comme tout animal est dote drun instinct de survie individuel, plus que celui de 1'espece. Les louves mangent leurs louveteaux en temps de famine. Les hirondelles, meres exemplaires, n'hesitent pas a abandonner leurs petits s'ils sont trop faibles pour poursuivre le grand voyage migratoire, soutient le magazine La Hulotte. Ce que Spinoza appelle le conatus, cette propension de Thumain a « perseverer dans son etre », nous rend parfois aveugles sur notre avenir. Nous refusons passionnement 1’idee de fin. Si nous aimons les recits, qui possedent un debut, un milieu et une fin, c'est que les personnages continuent de nous accompagner par dela le denouement.
Le catastrophiste accompagne donc son pessimisme d’une structure argumentative irreprochable, pour pouvoir repondre a tous les sursauts que le conatus ne manquera pas de faire eprouver au lecteur. Mieux, il fait meme souvent briller si ce n'est un espoir, du moins une ethique: celle de la conscience. Cest cette ethique qui permet a notre conatus de ne pas desesperer, car si elle n'est pas une solution, du moins transcende-t-elle 1'idee de finitude, ce qui est une consolation.
Le satiriste place son ethique dans cette transcendance. Son emphase et sa severite n'ont qu'un but, celui de theatraliser la difference entre le monde tel qu'il est et tel qu'il devrait etre, afin de la faire resonner dans toute son acception moralement dramatique. Le satiriste est un « choqueur », mais il espere avant tout etre un eveilleur. On retrouve encore une fois dans la notion d’eveil celle de veille, au sens biblique que Jean Pierre Dupuy lui a donnee.
Pourvoyeur d'electrochocs, le satiriste est un guerrier du reel. II n'est pas d'ennemis qufil n'ose combattre, pas d’obstacles qu’il ne sache surmonter. Cette vision romantique du veilleur du reel correspond pourtant bien a l'ethique de severite du satiriste. Sa position, que Ton peut voir comme retrograde -ne nous dit-il pas, en substance, qu'aujourd'hui est pire qu'hier, que quelque chose s'est degrade et ne correspond plus a ce qu’il devrait etre?- est batie sur la fermete de la critique de ce qui est tout autant que sur la conscience de ce qui devrait etre. Si 1'une des deux postures -critique et consciente- est un peu floue, le discours satirique perd tout son sens. Comme le prophete, sa rigueur discursive provient non des normes d'un genre deja codifie, mais bien de sa propre discipline. Cest aussi le sens donnę par Thierry Ehrmann au personnage du ronin, 1’ « homme errant», samourai japonais sans maitre. On ne peut veritablement etablir de generalite sur les ronins. Cependant on associe tres souvent 1'image du ronin a celle d'un ideał melant bonte et independance. Exclu de la societe nippone, le ronin etait pourtant fantasme dans de nombreux recits, notamment celui des 47 ronins, legende nationale du Japon. Tout commence quand le maitre de ceremonie de la maison du Shogun insulte un seigneur samourai, qui le blesse en retour. Le Shogun ordonne alors au seigneur de se suicider. Les 47 samourais, devenus ronins c’est a dire sans chef, par loyaute decident de
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