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qui peut etre compris comme une delivrance d'un joug trop lourd pour les etres compatissants. D'ailleurs le jeune medecin dit : «[...] je veux etre libre.»337 II serait difficile de ne pas apercevoir dans 1'attitude de Jacques de ressemblances avec Ie point de vue d'Isabelle Eberhardt:
Isabelle ne cachait pas qu'elle ne comprenait point et n'approuvait pas la volontć d'effort des colons d'Afrique, volonte qui lui paraissait dure et inhumaine. Les pauvres heres, soutenait-elle, doivent s'unir entre eux, resi-ster a 1'oppression, s'ćmanciper par 1'amour et ne jamais obeir en esclaves a un maltre qui n'a point d’amour pour eux. Et elle ajoutait : - Je suis trop seule avec moi! II me semble [...] que je suis en exil loin deje ne sais quoi, releguee dans un vide a part! Je vous decouvre tous si cruels, si mechants.338
Bień qu'Eberhardt pratique 1'opposition comme procede le plus con-forme a la misę en evidence de l'univers colonial, ses couples.de heros contrastes restent nuances, le caractere antithetique de ses personnages est souvent attenue par quelque indice deconcertant; tel est le heros de la nouvelle Yasmina, Jacques, dont la naturę reveuse, romantique le de-charge de sa culpabilite envers Yasmina.
Dans la nouvelle Sous le Joug, le couple de heros semble etre uni par ses origines car ils cherchaient «fuir la ville, enfants du desert tous deux, pour se retremper dans le silence et le vide des horizons monotones.»339 D'ailleurs ieurs prćnoms arabes indiquent des le dćbut leurs origines indigenes : Tessaadith et Abdelkader ont des origines communes, mais non identiques car ils representent deux tribus differentes : Tessaadith etait nee dans une tribu berbere, venue du «Nord qui a conserve les moeurs et le langage des Chaouiya»,340 tandis que Abdelkader provenait de la tribu des Oules Darradj du Hodna. Tous les deux aimaient le meme paysage, temoin de leur enfance. Dans cette nouvelle, Eberhardt investit le lieute-nant de Lavaux d'un caractere sombre :
Jamais, depuis que ses predecesseurs lui avaient passe la consigne, ił n'avait cherche a savoir ce qu'il y avait d'humain dans la plebe courbee devant lui et qu'il gouvernait la matraque a la main. [...] De Lavaux etait reste le seul chef reel, le hakem el kebir (grand chef) craint jusqu'a la panique, trompe autant que possible et, en dessous, honni et que, si Dieu le voulait, une balie guetterait un jour dans une dune lointaine.341
U1 Ibid., p. 174.
■“* R. Randau, Isabelle Eberhardt. notes et souwnirs. La Boitc a Documents, 1989, pp. 131 319 I. Eberhardt, Sous le Joug, op. cit., p. 181.
340 Ibid., p. 177.
341 Ibid., p. 182.
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