venger leur maitre en tuant le maitre de ceremonie. Ils savent qu'ils devront par la suitę se suicider a leur tour, car le Shogun punit ainsi les meurtres. Cette histoire illustre une certaine ethique du samourai, qui mele loyaute, honneur et responsabilite des actes. Pourtant, si ces ronins consacrent leur loyaute a leur chef, il semble que dans de nombreux cas, les ronins n'avaient pas de maitre parce qu'ils l'avaient choisi, et preferaient Tindependance a la soumission, quitte a vivre en marginaux.
Peut-etre peut-on risquer une comparaison entre la relation du ronin au samourai et celle du satiriste au joumaliste. Ils sont sensiblement les memes, mais l'un est independant, et 1’autre tributaire d’interets qui ne sont ni les siens, ni ceux de la communaute. Les samourais meprisaient les ronins tout en les jalousant, les joumalistes ne peuvent regarder le satiriste en face, car il les renvoie a leur assujetissement a des interets economiques. Actifs, et pourtant a la marge, le ronin et le satiriste representent une critique sociale des plus acerbes; ils montrent ce qui devrait etre, et qui contraste terriblement avec ce qui est. Bień sur, cette analyse ne vaut que dans une vision ideale du ronin comme du satiriste, malheureusement parfois en contradiction avec la realite.
Un autre point commun entre le ronin et le satiriste est qu'ils sont armes. Comme le dit le pere d'Indiana Jones a son flis, «la plume est plus forte que I'epee », a la suitę de quoi il plante une plume dans 1'oeil d’un nazi. Jacques Bouveresse evoque la critique du langage comme «une des armes essentielles de la critique sociale1,8» chez Karl Kraus, et rappelle que ces armes sont toujours d'actualite, meme pour combattre des medias dont Kraus n’avait pas idee, notamment la television. Les armes du satiriste sont les mots qu'il emploie. Ils sont lourds comme des boulets de canon. Annie Lebrun critique notre monde « redondant », dans lequel nous ne faisons que dupliquer le reel, qui se vide de son sens. Le satiriste, en confrontant le reel a un imaginaire plus riche (qui se traduit par la richesse de la formę, coup de crayon, style litteraire), redonne du sens au reel. Le satiriste remplit des mots qui sont habituellement vides, car epuises par une utilisation abusive. II les reoriente et leur redonne leur charge initiale. II est un createur du monde, et non un copieur, car les mots bien places font apparaitre des verites ou des etats de fait qui etaient invisibles avant qu'ils soient apprehendes avec ces mots. Cest aussi en ce sens qu'il est prophete, au sens de revelateur. Ce que Jacques Bouveresse appelle la responsabilite par rapport au langage, c'est bien ce respect du sens et du poids des mots, que parfois seul le satiriste conserve, quand la langue, instrumentalisee, est sacrifiee sur 1’autel de la propagandę et de fins politiques ou economiques. Le satiriste est un veilleur, car il est Tultime recours face a la trahison de la langue qui peut s’operer a 1'echelle d'un pays entier. II peut representer la conscience de son peuple.
118Ibid