49 LES INTELLECTUELS DU SUD-EST EUROPfiEN (XVII e s.) 229
En 1716, le metropolitę de Hongro-Ylachie, Anthime d’Ivir, destituś et exiie au mont Sina! pour des crimes du meme ordre, ótait noyć par son escorte turąue dans la riviere Toundja, dans la partie sud-est de la Pśninsule Balkaniąne. La listę des caractbres du temps est bien plus longue. Elle comprend aussi de nombreux cas de renógats revenus au christianisme au prix de leur vie, tels que les jeunes Armśniens exścutśs en 1734, 1735, 1748 et 1749 123.
Mais plus longue eneore serait celle des adeptes d’un comportement prudent, que les nouveaux coryphśes de la pensśe du Levant recomman-dent et diffusent par leurs ćcrits. Eleve du College Saint-Athanase de Romę et de l’Universitć de Padoue, Alexandre Mavrocordato, devenu grand drogman de la Porte, recommande des normes de vie qui, « fruit d’une maturitó politique affranchie de tout idćalisme dangereux »124, sont tout aussi significatives quant au prix qu’on avait commencó a payer en Europę sud-est orientale pour la prudence: « Nous ne forgeons pas une rógle de conduite dśgagśe des contingences eorporelles et matć-rielles •, nous tenons compte du corps et de la matióre. » Aussi eonseille-t-il, «les yeux baissós, nous prendrons soin d’agir selon les circonstances, nous n’apprendrons pas plus qu’il ne s’av6re nócessaire, nous n’en dirons pas plus que ce qui peut nous etre utile ». Dans ses Pensees, ou il croit devoir introduire un chapitre «De la simulation de la vertu » on releve cette recommandation d’une belle sincóritó : « Ne faites pas ce que yous voulez, ni ce que vous pouyez, mais ee qui sert vos intórets »125. II n’y a donc pas lieu de s’ótonner si, parmi les Conseils ćcrits en 1726 par son
fils, le prince Nicolas, on lit: « Baise la main que tu ne peux couper »,
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dont le cynisme est expliquó et peut-etre meme attćnuó dans une certaine mesure par ce cri d’alarme « Pense dans quel siacie tu vis !» et par cette rćflexion rśsignóe : «Cet adage se confirme parfois : Ou la couronne sur ta tete, ou les yautours sur ton eadavre. »126
L’śthique des intellectuels modernes de 1’Europe du Sud-Est et du Levant est, tant dans sa genóse que dans son óvolution, conditionnóe
par des circonstances politiques bien tristes. La coincidence — fróquente, comme nous le yerrons — entre ce nouveau type d’intellectuel, d’une part, et les aristoerates et les parvenus, d’autre part, óelaire aussi d’autres ślśments de leur psychologie, tels que la rapacitó, la soif d’argent, 1’insen-
123 Ibidem.
124 C. Th. Dimaras, Histoire de la littirature nóo-helttnique, p. 113.
125 Ibidem.
126 V. les textes dans E. de Hurmuzaki — A. Papadopoulos-Kerameus, op. cit., pp. 4 68 et 472.