ĆTUDES, YARIĆTES ET DOCUMENTS 533
Pour demander pardon, les Grecs disaient « amnestia »... Notre droit contemporain accorde une place de plus en plus large a Pamnistie, c’est-a-dire au pardon (pas moins de 25 textes sous la Ve Republique lui ont ete consacres). On sait que Pamnistie n’efFace pas le fait en lui-meme (et le prejudice qu’il a pu occasionner reste reparable) mais lui óte pour Pavenir son caractere punissable.
Nul n’ignore la double visee — sociale et politique — de ce pardon judiciaire. Mais, la encore, il est fort a craindre que des incomprehensions, liees au temps, demeu-rent : soit, en effet, Pamnistie efface pour Pavenir certains types d’infractions deja commises mais non encore sanctionnees, soit elle aneantit des peines deja prononcees mais n’excedant pas une certaine duree... Toujours, elle n’agit qu’a titre retroactif, a Pegard de faits anterieurs a sa promulgation (ou a une date-symbole anterieure a la promulgation elle-meme).
Ainsi, temps et amnistie se trouvent-ils, une fois de plus, etroitement associes dans notre droit. Et convient-il de preciser que, sauf cas limites — mais la limite tend a s’elargir ! — Pamnistie est a vocation « universelle » puisqu’elle s’adresse sans distinc-tion a tous les citoyens places en situation identique.
La justice coutumiere connait Pamnistie, au sens original du terme tout au moins. Nul observateur de cette justice et de ses rites n’ignore cette capacite exorbitante qui est la sienne a accorder « le pardon », connu sous le vocable de « pardon coutu-mier ». Mais celui-ci n’a que fort peu a voir avec notre amnistie.
Tout d’abord, le pardon s’exerce de elan a elan et n’a donc qu’une portee limitee et non pas generale : le elan du coupable se rapproche de celui de la yictime pour obtenir son pardon, cadeaux a Pappui (a valeur souvent plus symbolique que reelle-ment indemnitaire). Et ensuite cette maniere de rapprochement, qui emprunte ce que Ton appelle les « chemins coutumiers », auxquels PEuropeen ne peut avoir acces et qui constituent en fait la procedurę prealable imperative, echappe a notre entendement.
Seul point de comparaison avec notre amnistie : une fois le pardon accorde, la faute s’efface. Avec ce corollaire qui veut que toute intervention ulterieure de la justice d’Etat pour des faits ainsi « amnisties » par la coutume risque d’etre mai com-prise ou en tout cas fort mai vecue meme si c’est la victime elle-meme qui reclame l’intervention de la justice officielle, puisque le elan (qui se substitue a Pindividu) avait, lui, pardonne...11
On ne peut s’empecher de faire ici reference au mobile qui sous-tend la « vendetta »... et d’evoquer cette survivance, tenace en milieu melanesien, d’une justice proprement clanique qui nous ramene plusieurs siecles en arriere.
Beaucoup rappellent a ce propos, et sans doute avec quelque raison, que Pun des motifs profonds du soulevement des tribus de Canala en 1989 — en dehors du mot d’ordre politique dans lequel il s’est ofTiciellement inscrit — tient au souci des tribus de cette region de la cóte est de la Grandę Terre de « racheter » la vieille alliance de leur chef de guerre Nondo avec les Europeens, alliance (traduisez : trahison) qui conduisit a Pelimination, le l6*- septembre 1878, du chef Atal, chef des tribus de Sarramea et Dogny alors en revolte contrę les Blancs12. Et Pon sait qu’Eloi Machoro avait lui-meme tente, sans succes, d’obtenir ce pardon coutumier pour les « Canala » en 1982. Perpetuel retour d’une histoire en quete d’elle-meme...
11. Etrange scene ou l’on voit comparaitre devant la cour d’assises la victime d’un viol commis en tribu qui persiste a rćclamcr reparation — sous l'ocil courrouce dc son chef dc elan — tout en se di-sant incapable de chiffrcr le montant de cette reparation puisque le pardon coutumier est intervenu !
12. Les tribus de Canala, Sarramea et Dogny appartiennent toutes a la meme aire coutumiere, dite « Xaracuu ».
Rev. science crim. (3), juill.-sept. 1990