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pour titre son prenom de jeune filie, comme musulmane ne manifeste aucune revolte devant son dćsastre amoureux :
En elle, aucune revolte contrę le Mektoub auąuel, des sa plus tendre enfance, elle etait habituee a attribuer tout ce qui lui arrivait, en bien comme en mai... Simplement une douleur infinie, une souffrance continue, sans treve ni repos, la souffrance cruelle et injuste des etres inconscients, enfants ou ani-maux, qui n'ont meme pas 1'amere consolation de comprendre pourquoi et comment ils souffrent.394
La defense de 1'indigene va de pair chez Eberhardt avec
son acception de 1'islamisme. [...] LIsIamisme la sauve des servitudes europeennes [...]. Son instinct remontant de cavalier nomadę et fataliste, la pousse a vivre degagee de contingences, obeissant aux besoins de voir et de sentir. [...] Elle aime le mystóre, 1'etrangete [...], ce qui lui plait surtout, c’est la marche vers le Sud, le mystere, Tinfini, la grandę solitude du Sahara. L..] Elle eut meme une ambition peu commune, celle de devenir maraboute.
L'appellation de «bonne nomade» qu'on a donnee a Eberhardt a ete justifiee par sa vie mouvementee, aventureuse meme d'Europeenne qui, apres avoir rejete une vie rangee et peut-etre triste, a fait tout pour recom-mencer sa vie selon des regles nouvelles ou plutót sans aucune regle, suivant seulement son instinct et le modę de vie nomadę dont 1'effet est la fusion avec la naturę et la quete permanente d'un absolu. Operant ce choix radical et rare a cette epoque, elle s'est misę du cóte de ceux dont la vie l'avait fascinee; son oeuvre litteraire pourrait donc etre consideree comme un temoignage personnel de ses passions et options en meme temps, elle frappe par son authenticitć.
Amyntas d'Andre Gide, comme les nouvelles d'Eberhardt, est le temoignage personnel du voyage de l'ecrivain en Afrique du Nord; ses notes de route dans leur majeure partie sont des descriptions expressives ou predominent des touches individuelles, subjectives, impregnees d'une forte dose de lyrisme. Ce qui semble etre le plus precieux pour le lecteur de ce livre, c'est la rencontre d'un artiste raffine, immerge dans la culture clas-sique, avec un contre-modele de la civilisation occidentale qu'est le monde arabe. En suivant plusieurs descriptions tissees par Andre Gide dans Amyntas, on est persuadć de 1'enchantement gidien du monde non-franęais, donc autochtone, authentique. Pareillement a Eberhardt, Gide se laisse guider par
3W I. Eberhardt, Yasmina, op. cit., p. 106.
m R.-L. Doyon, «La vie tragique de la bonne nomade», prćface de Mes Journaliers d'Isabel-le Eberhardt, P., Les Textes, La Connaissance, 1923, pp. LXI-LVIL