95
Pour l'avoir traduite, Dolet connait et cnaitrise donc parfaitement la vision de l’enfer qui est celle de soo maitre Cicćron. Celle-ci ressortit a la tradition philosophiąue de 1'enfer, laquelle, comme l'explique Minois, est en quelque sonę opposee k la tradition populaire:
A partir du IV6 siacie av. J.-C. les deux enfers [populaire et ph£losqphiqueI vont coexister et connaitre des developpements dialectiques d'oppositions et de synthćses. L'enfer populaire dćveloppera en images concrćtes les thćtnes spirituels de 1'enfer des philosophes, tan dis que ce demier approfondira les sens des mythes apparus dans son equivalent populaire. Cette evolution n'ira pas sans tensions et sans excćs, 1’enfer populaire tendant k tomber dans la pure imagination pittoresque ou sadique, 1'enfer des philosophes cedant
parfois k la tentation du nćant, k la nćgation de lui-meme.3 3
L'enfer cicćronien, comme tious l’avons vu, consent k ce nćant et a cette nćgation des lieux. On comprend ainsi pourąuoi, tel que l'a notć Lestringant, «Dolet n’adhćre plus k une vision topographique des enfers ou le Christ, comme les ames en peine, rircule <Tun lieu k l'autre». En effet, eut-il adhćrć k une telle vision heritće de la littćrature apocryphe, laquelle puise abondamment dans I'imagerie populaire, Dolet auiait suivi cette tradition dont son maitre se moque, la traitant de «fainctise» et de «resveries> de peintres et de poćtes.
Or, la balladę «Devis Chrestiens sur la passion de nostre Seigneur Jesus Christ», a travers la description significative des lieux qu'elle developpe et de laquelle procćde une allusion k la catabase du Christ, approfondit et actualise 1'enfer dolćtien qui, en etant purge de tout pittoresque, souscrit en premier lieu implicitement k la nćgation et au nćant ciceroniens. En effet, d'abord simple et Iointaine metaphore censee signifier l'emprisonnement et 1'aril, 1'enfer, dans l'edition troyenne du de Larin par Estierme Dolet natif d'Orleans, Lyon, Ćtienoe Dolet. 1543, in-8°, pp. 8-9 (folio B4v°-B5) et pp. 27-28 (folio C6-C6v°) [Paris, Bibliotbeque Natiooale, Rćs. p. R. 724].
3 3 G. Minois, ibid., pp. 54-55. Lucien de Samosafe evoque sur le modę satinque la tradition pfailosophiąiie des enfers dins le second Ime de son Hisroire writable {diun voyage a la luna) : «Je [ne] vis point de philosophes [dans les des foitunćes] parce qu’ils dćliberent toujours, qulls oe peuvent ricn rćsoudre; on doute meme qu'ils croient aux enfers et aux champs ćlysóes. Mais i mon avis, c'est ąulls enugnent le jugement de Rhadamantc parce ąiTils ont voulu óter toute sarte de jugement et mettre I*umvers en confuskm* (trąd. du grec ancien, et annotć par P. d’Albtncourt, dans Yayages auzpays de nulle part, ód. par F. Lacassin, Paris, Robert Laffont, 1990, p. 26).