»Notre monde est devenu immensement grand, et, en chacun de ses recoins, plus riche en dons et en penis que celui des Grecs; mais cette richesse meme fait disparaitre le sens positif sur le-quel reposait leur vie: la totalite. Car la totalite, en tant que realite premiere, formatrice de tout phenomene, implique qu’une ceuvre fermee sur elle-meme puisse etre accomplie; acccomplie parce que tout advient en elle sans que rien en soit exclu ou y renvoie a une realite superieure, accomplie parce que tout murit en elle vers sa propre perfection et, s’atteignant soi-meme, s’in-sere dans 1’edifice entier. II n’est totalite possible de 1’etre que la ou tout, deja, est homogene avant d’etre investi par les formes, ou les formes ne sont pas des contraintes, mais la simple prise de conscience, la venue a jour de tout ce qui, au sein de tout ce qui doit recevoir formę, sommeillait comme obscure aspiration. La ou le savoir est vertu et la vertu bonheur, la ou la beaute manifeste le sens du monde«.
La totalite apparait comme quelque chose d’originel et de perdu, comme une formę eternelle qui eveille la nostalgie mais que Ton ne retrouvera jamais plus.
- Dans Histoire et Conscience de classe, la totalite devient un prin-cipe infiniment plus riche qui depasse le kantisme et l’hegćlianisme pour devenir une categorie marxiste fondamentale. II est impossible de resumer ici la richesse de cette ceuvre - parfois qualifiee de »mau-dite« - qui est a 1’origine d’un fantastique renouveau de la pensće marxiste. Remarquons simplement qu’il ne s’agit plus seulement de la formę comme exigence de coherence pour l’ame humaine ou de la totalite comme ideał romantique brise par le monde bourgeois mais de la totalite du processus de l’experience sociale et historique telle qu’el ■ le se constitue dans la praxis sociale et la lutte de classes. Cette notion de totalite dialectique s’oppose a la theorie du reflet16 et du marxisme simpliste deBoukharine.Goldmann donnera deux illustrations philoso-phique et litteraire de cette categorie de totalite: dans son premier ouvrage La Communaute Humaine et l'Univers che: Kant (194S),1' ou il tentait d’eclairer la philosophie kantienne, en particulier les trois Critiques mais aussi les oeuvres qui precedent, a la lumiere de l’(euvrc de Lukacs et dans sa these le Dieu Caclie a propos de la vision trag;-que janseniste chez Pascal et Racine. Comme la place nous manque dans le cadre de cette etude pour discuter longuement 1’interpretation que Goldmann propose de Kant, nous nous limiterons a rappeler les theses fondamentales et la methode du Dieu Cache, ceuvre trop riche et trop connue, pour que l’on se risque a la resumer.
*• Aussi est-il stupćfiant qu’un critiquc sovićtique ait pu rcprocher a Goldmann d’etre »partisan de la theorie du reflex«, et d’ćtablir des dćpendances directes entre la structure sociale et ćconomique d’unc socićtć et la structure de la crćation littć-raire. (Cf. S. M. p. 445).
,T L’ouvrage a ćt^ rććditć en 1967 dans la collection Idćes sous le titre lntroduc-tion a la philosophie de Kant.
575