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gratifie et qui fait venir le pere Le Comte. Des bonzes lui ayant annonce que son ame passerait infaillibiement dans l’un de ses chevaux de poste pour porter dans les provinces les depeches de la cour imperiale, le vieillard craint pour lui-meme: « Je vous avoue, mon Pere, que cette pensee me fait fremir et je n’y songe jamais sans trembler. J’y songe neanmoins toutes les nuits et il me semble quelquefois durant le sommeil que je suis deja sous le hamois pręt a courir au premier coup de fouet du postillon. Je me reveille tout en eau et a demi trouble, ne sachant plus si je suis encore homme ou si je suis devenu cheval». Comme il a entendu dire que les chretiens ne deviendront jamais des animaux apres la mort, il supplie le pere de le baptiser: « [...] on m’a dit que ceux de votre religion ne sont point sujets a ces miseres ; que les hommes y sont toujours hommes et qu’ils se trouvent tels en Pautre monde qu’ils etaient en celui-ci. Je vous supplie de me recevoir parmi vous. Je sais bien que votre religion est difficile a observer, [...] et quoi qu*il m’en coute, j’aime encore mieux etre chretien que de devenir bete »30. On constate ici que la conversion est davantage motivee par la crainte de « devenir bete » dans Pautre vie, plutót que par la foi en la religion chretienne.
Comme en NouvelIe-France, P emploi d'objets curieux europeens constitue une autre des strategies missionnaires pour attirer les fideies. En Chine, ces objets sont des instruments scientifiques ou artistiques destines aux intellectuels, aux mandarins et a Pempereur. L*efFet de cette tactique est toujours paradoxal: d’une part, elle permet aux missionnaires d’etablir des liens favorab!es avec le peuple, de gagner Pappreciation des dirigeants et d’attirer une partie des gens a la foi chretienne. D’autre part, leur usage nuit, dans une certaine mesure, aux travaux apostoliques des missionnaires. En effet, pour obtenir la confiance des elites, les jesuites se presentent souvent comme savants plutót que comme simples pretres. Avec leurs instruments mathematiques et astronomiques, ils enseignent des connaissances europeennes. Ils obtiennent ainsi un titre equivalent a celui des erudits : xiru, savants d’Occident. Cependant ces activites scientifique$ amoindrissent leur role de pretres. Ainsi, les intellectuels chinois aux XVII< et XVUJe siecles confondent souvent les Sciences europeennes et la doctrine chretienne, et leur donnent un nom commun: xixue (etudes occidentales), ou ticmxue (etudes celestes ; les Chinois appellent le catholicisme tianzhujiao,
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LECOMTE. Un jesuite a Pekin (...]. 1990. p. 373-374.