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reprend a son conopte les principaux arguments avancćs par Tite-Live, Ie Religieux ne se contente pas de reproduire purement et simplement son modele: il prend soin de 1'adapter a son propos, en eliminant par exemple les references aux realites historiques specifiąues a la societe romaine antique, telles que la relation entre patroni et clientes (Quot enim clientes [...] umm hostem eritis). On savait deja que The-Live figurah parmi les tnodeles stylistiąues de la Chroniąue de Charles VI. on en a ici une preuve supplementaire1.
Les harangues guenieres qu’on trouve dans les chroniques du Moyen Age en generał et dans l’oeuvre de Michel Pintoin en particulier sortt donc des constructions litteraires, et ne penvent bien entendu pas etre considerees comme des mises par ecrit d’allocutions reellement prononcees dans les conseils ou sur le champ de bataille. John R. E. Bliese estime neanmoins que les auteurs etaient tenus de respecter un principe fondamental de la rhetorique, selon lequel on ne pouvait placer dans la bouche des chefs militaires que des arguments juges vTaisemblables " Throughout. however. these speeches. as any other rhetorical devices. were expected to meet the tests of plausibility [...]. They [...] show us what kinds of things the chroniclers, with morę or less detailed knowledge of the psychology of combat, thought it would have been appropriate to say”9 U est vrai qu’en generał, les chroniqueurs ne cherchent pas a idealiser les combattants. D’un autre cóte, leurs perspectives ne correspondent pas toujours a celles des commandants: dans beaucoup de cas, leur intention est avant tout moralisatrice Faut-il vraiment s’etonner du fait que les references aux gains materiels et a la vengeance n’occupent, dans la strategie rhetorique des chroniqueurs, qu’une place relativement restreinte10? En 1404, apres avoir rapporte la defaite d’une armee bretonne face aux Anglais, Michel Pintoin raconte que les troupes de reserve auraient sans doute subi le meme sort, n’eut ete de rintervention opportune de "171udam miles providus, a cujus eloąuencia sentencia
Pour decnre les ĆYĆnemeius qui ont cooduit au duel de iean de Canouges et Jacąues Le Cris en 1386. Ie chroniąuetir a ainsi reproduit presąue texnielleinem le passage ou 1'historien romain raconte le viol de Lucrece. On a pu dćmontier que Michel Pintoin a utilise directemcni le manuscrit que possedait la bibliotheque de son abtese. et qui existe toujours (Paris, B.N. laL 5736, Xir1XIir s.): voir B. Gucnee. "Conuncnt le Religieux de Saint-Dcnis a-t-il ecrit rhistoire?''. pp. 3371339. Le fait que, dans un meme discours. le Religieux soit en mesure de mobiliser des passages empruntes a trois livres diffćrents de YHistoire romaine de Tite1Live nous oblige a nous intenoger sur ses methodes de travail: 1Ne faut-il pas admctire", suggere Bernard Guenćc i propos de 1'utilisation que fait Michel Pintoin de la Chronique de Guillaume de Tyr. "une grandę aptitude a promptement tirer parti de notes marginales... et de fichesT ("Michel Pintoin: sa vie, son oeuvre", p. LXVU).
5 J. R. E. Bliese. tac. cit., pp. 203-204.
10 'Plunder is much further down the list than one might expect. as also is vengeance" (ibid., p. 217).